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Du bretzel au simit

Rencontre avec le Prof. Dr Jeroen Poblome, nouveau directeur des fouilles de Sagalassos

Après avoir découvert l'histoire de Sagalassos, première ville de Pisidie et parcouru le site à travers un premier et un second article, la série consacrée à ce site fouillé depuis une trentaine d'années par les archéologues belges de l'université catholique de Louvain se termine par la rencontre avec le Prof. Dr. Jeroen Poblome, nouveau directeur des fouilles depuis cette année académique, après le départ à la retraite du Prof. Dr. Marc Waelkens.

Prof. Dr Jeroen Poblome, nouveau directeur des fouilles de Sagalassos

A la fin de ses études en juin 1990 à l'université catholique de Louvain et avant de commencer son doctorat, Jeroen Poblome travaille comme archéologue pour la ville de Courtrai durant quelques mois avant de démarrer son service militaire début 1991. La même année, il se rend la première fois à Sagalassos suite à l'invitation faite par Marc Waelkens de l'accompagner.

Ce dernier, qui fouille déjà le site en son nom propre depuis 1990, le recontacte durant son service militaire, cherchant un jeune archéologue intéressé par la céramologie, ce qui est le cas de Jeroen Poblome. Après 2 jours de réflexion, et malgré les craintes de son père, le jeune archéologue accepte cette proposition et se joint au projet Sagalassos à compter du 11 avril 1992, à l'issue de son service national.

Les premières années sur le site ont été consacrées à l'étude des grands monuments de Sagalassos, des agoras, des inscriptions ainsi que de l'élite sociale composant 1 ou 2 % de la population. Le site n'était alors pas connu et la première priorité était de découvrir l'histoire et le cadre urbain de la cité.

Travaux aux abords des thermes de Sagalassos

Travaux aux abords des thermes de Sagalassos

Ensuite est venu le temps d'étudier la population de la ville. Pour cela, il ne s'agit plus, à l'avenir, de réaliser de grandes fouilles mais uniquement des recherches ciblées pour savoir comment vivait la communauté de Sagalassos, expliquer la vie dans les maisons, les ateliers, les nécropoles, en somme tous les aspects de la vie quotidienne.

En outre, les origines de Sagalassos ne sont pas encore assez claires. On pensait que celles-ci se trouvaient au niveau de la colline d'Alexandre et de Düzen Tepe où a été trouvé un site de 9 à 10 ha du 5ème au 2ème siècle av. J.-C où étaient concentrées des habitations. Mais il y a 3 ans, dans le quartier des potiers, fut découvert un dépôt datant de la fin du 5ème au début du 3ème siècle av. J.-C. et des terrasses avec des indices d'agriculture suite à des sondages réalisés à 10 m de profondeur.

Travaux lors de la saison de fouilles 2014 à Sagalassos

Travaux lors de la saison de fouilles 2014 à Sagalassos

Côté ouest de la ville, des indices identiques ont également été trouvés et d'autres sondages ont été réalisés cet été dans l'agora supérieure pour essayer de trouver les racines de Sagalassos. Lesdits sondages ont permis de déterrer d'autres tessons de la même époque que dans le quartier des potiers, mais cette fois-ci pas dans un contexte stratifié.

La saison de fouilles 2014, d'une durée de trois mois, a démarré avec une équipe d'une dizaine de personnes en juin par une campagne d'études sur le dépôt du site pour préparer des publications. En juillet, l'équipe de conservation – une quinzaine de personnes ainsi qu'une dizaine d'ouvriers - a poursuivi les travaux. En août, les fouilles ont commencé avec 45 spécialistes et environ autant d'ouvriers.

Travaux sur l'agora supérieure de Sagalassos

Travaux sur l'agora supérieure de Sagalassos

Les aspects de la vie quotidienne font partie des axes majeurs des recherches actuelles, de même que l'époque tardive dans le quartier byzantin du temple d'Antonin le Pieux.

Les travaux de 2015 seront concentrés sur la période héllenistique et en principe, de nouvelles fouilles démarreront en 2016 dans ce secteur pour compléter la reconstitution diachronique de Sagalassos.

Cet été a été mis au jour une cuisine complète datant de l'époque romaine tardive – 6ème siècle de notre ère - dans le bâtiment situé à côté de la bibliothèque de Neon qui va permettre de connaître la culture culinaire de l'époque, ce qu'on mangeait, ce qu'on cuisait et comment.

Il y a également des travaux de conservation concentrés essentiellement sur deux endroits : d'abord les thermes dont les fouilles ont commencé en 1992 pour durer des années et qui ont fait l'objet d'investissements importants au niveau archéologique, de l'étude interdisciplinaire mais aussi de la conservation. Pour le moment, il n'est pas encore possible aux touristes de les visiter.

Travaux sur les thermes de Sagalassos

Travaux sur les thermes de Sagalassos

Il faut encore trouver des fonds conséquents pour maintenir le bâtiment et surtout renforcer les pièces du niveau inférieur. Tous les thermes sont construits en terrasses au niveau d'une petite colline, les chambres voûtées sont en terrasse et certaines ont été fouillées. En face de l'agora inférieure, c'est en train d'être comblé. Il s'agit là d'une mesure d'urgence.

L'année dernière, lors d'une nouvelle fouille des thermes, a été trouvée une partie de palestre – espace où étaient pratiqués la lutte et d'autres exercices physiques - et une autre partie a été fouillée durant cette campagne. On dispose à présent de l'entrée pour accéder au frigidarium et l'idée est de connecter les chambres à ce niveau-là avec celles du niveau inférieur grâce aux quelques escaliers existants.

Cela permettra aux touristes de visiter les thermes et ensuite de sortir au niveau de l'agora inférieure dans un avenir proche.

Thermes impériaux de Sagalassos

Thermes impériaux de Sagalassos

Le second chantier important concerne l'agora supérieure où a été entamé le dernier programme de travaux. Le Prof. Poblome espère avoir une agora complétée d'ici 2017 ou 2018 tant du côté archéologique et conservation architecturale, qu'études des ingénieurs au niveau de toutes les disciplines. Tout ce qui peut être appris sur l'agora supérieure et peut être reconstruit devrait être terminé d'ici là.

Le deuxième arc de Claude va aussi être reconstitué afin d'avoir toutes les entrées monumentales de l'agora supérieure pour ensuite travailler à l'intérieur.

Un des arcs de Claude de Sagalassos

Le programme interdisciplinaire concentré sur les matériaux mais aussi sur tout le territoire de Sagalassos d'une superficie de 1200 km2 est à étudier... et la responsabilité au niveau coordination scientifique incombe à toute l'équipe qui travaille sur le site.

La stratégie de travailler de manière interdisciplinaire a été mise en place par Marc Waelkens et il appartient bien entendu au nouveau directeur de fouilles de la poursuivre. Sur de nombreux sites, on fouille, on a des résultats et après il faut parler avec les géologues, les géomorhologues, etc, mais à Sagalassos, c'est différent. Au début, avant même de rédiger des dossiers pour trouver des fonds, tous les projets font l'objet d'une stratégie interdisciplinaire, nécessaire pour comprendre ce site.

Les dernières années, assez d'informations et de datations ont été réunies et est venu le moment de comprendre certains endroits et les spécificités du site.

Sur l'agora supérieure de Sagalassos

Cette année par exemple, les géologues ont effectué une étude des couches suite aux découvertes, du côté d'Ağlasun ainsi qu'aux alentours de Sagalassos, de fer naturel de bonne qualité et ils travaillent sur l'utilisation du fer dans ces secteurs. Les archéologues se concentrent sur les repas de la communauté suite aux découvertes près des thermes et lors des fouilles du quartier des potiers.

Le bâtiment d'une association professionnelle ou religieuse, préservé d'une manière exceptionnelle, où des personnes mangeaient ensemble comme dans un club, a aussi fait l'objet de fouilles et tous les ossements trouvés ainsi que les menus de l'époque sont en cours d'étude. D'autres disciplines s'ajoutent comme par exemple la macro botanique ; le botaniste étudie le côté végétal de tous ces repas et festivités.

Il y a aussi des conservateurs, des architectes, des ingénieurs, un anthropologue qui étudie actuellement les ossements trouvés dans la plus grande des nécropoles près du quartier des potiers.

Ce dernier secteur fait également l'objet d'un projet pluridisciplinaire. Des analyses géophysiques ont été faites avant de démarrer les fouilles. Les spécialistes vont se concentrer sur la dépression centrale de ce quartier car on ne sait pas si c'est un phénomène naturel, si c'était exploité par la population et comment a été comblé le niveau actuel. Les résultats ne sont pas encore prêts mais les études préliminaires indiquent la présence d'une carrière d'argile fouillée à l'époque hellénistique. A l'époque, le quartier des potiers se trouvait à côté de l'odéon et lorsque les artisans se sont déplacés, la carrière d'argile a été arrêtée.

Le Prof. Poblome explique également le projet de création d'un musée de plein air au niveau de l'agora supérieure : tous les bâtiments sont en train d'être reconstruits en 3D et l'équipe étudie actuellement comment offrir aux visiteurs une découverte plus vivante et attractive.

Nymphée antonin sur l'agora supérieure de Sagalassos

Nymphée antonin sur l'agora supérieure de Sagalassos

Comme il le dit à juste titre, « Voir des pierres et des édifices, c'est bien mais savoir aussi comment fonctionnait la vie quotidienne, c'est mieux. ». Pour cela, un programme multimédia est également en cours de développement afin de faire connaître l'agora supérieure avec beaucoup plus de détails. Il y a aura des films, des applications digitales pour la voir avant et après les travaux.

Les visiteurs pourront ainsi choisir de visiter en surface ou d'approfondir leurs connaissances de façon ludique.

Le Prof. Poblome évoque aussi la tenue mi-août 2014 de la première réunion de la Fondation Sagalassos en Turquie afin de trouver plus de partenaires sur place pour soutenir le projet.

Le principe qui existe depuis le début des années 80 en Belgique fonctionne déjà très bien, notamment dans les Flandres, et l'Association des Amis de Sagalassos comprend environ 1000 personnes. Certains de ces amis viennent de temps en temps visiter le site.

Souhaitons au Professeur Poblome et à toute son équipe de pouvoir bâtir quelque chose d'équivalent en Turquie pour poursuivre cette belle aventure qui nécessite encore beaucoup d'années de travail, de passion... et de fonds.

A l'entrée du site de Sagalassos, un panneau mentionnant les sponsors des fouilles

A l'entrée du site de Sagalassos, un panneau mentionnant les sponsors des fouilles

Pour tous ceux et celles qui aimeraient en savoir encore plus sur Sagalassos :

  • http://www.sagalassos.be/

  • Association « Les amis de Sagalassos » liée à l'université catholique de Louvain (avec possibilité de s'abonner à la newsletter hebdomadaire en flamand et bientôt en anglais) : info@sagalassos.be

  • Les articles publiés précédemment ont eu pour source principale d'informations l'excellente et très complète brochure « Sagalassos, guide du visiteur » réalisée grâce au programme de financement 2011 de la West Mediterranean Development Agency.

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R
Plus j'avance en âge et plus je pense, suprêmement heureux pourtant d'avoir été Prof. d'Histoire, que j'eusse aussi bien pu être archéologue et plus spécifiquement, bien sûr, égyptologue.<br /> <br /> Et quand je me plonge dans des rapports de fouilles, un peu comme celui que tu proposes ici, un léger pincement de regret se fait sentir ...
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N
Dans une autre vie peut-être Richard dede...
F
Article TRES interessant !!!!!!!!!!!!!!<br /> Merci Nat :-)
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D
Extrêmement intéressant ; c'est la première fois que je peux &quot;écouter&quot; les propos de ce nouveau Directeur des fouilles de ce site magique ! Merci nat !!!
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