23 Mai 2016
Article publié dans le Petit Journal d'Istanbul - Edition du 23 mai 2016
28 détenus de la prison T Tipi d'Ümraniye à Istanbul, acteurs, régisseurs, aides, ont vécu depuis le début de l'automne 2015 une belle aventure à travers "La vie consignée", la nouvelle pièce de théâtre montée et interprétée sur place.
Le groupe de théâtre composé de détenus de la prison T Tipi d'Ümraniye à Istanbul avec le directeur Mehmet Çitak et la réalisatrice Pınar Gordie
Les officiels lors de la première représentation de "La vie consignée" à la prison T Tipi d'Ümraniye à Istanbul
Pour les autres, le travail des deux premiers mois à raison de 3 jours/semaine consiste à apprendre à s'exprimer correctement, à bouger et à entrer dans la peau de différents personnages avec qui il va falloir faire bon ménage.
Après cette période indispensable pour tout débutant et néanmoins importante pour les autres aussi, Pınar Gordie cherche une pièce qui évoque la prison et permette aussi de se divertir.
“Kent Hikayeleri”, autrement dit “Histoires citadines” écrite par le scénariste Ömer Pınar en 2004 sera la pièce retenue. L'auteur explique : « Les vies des personnes peuvent changer très vite. Vous pouvez peut-être faire des plans par rapport à votre avenir mais le destin va trancher et rien ne se passera comme vous l’avez programmé. Je voulais expliquer de façon humoristique qu’il n'est pas facile de connaître l’humain. »
Pınar Gordie en tant que régisseur va en changer le nom, enlever des passages et en ajouter d'autres.
"La vie consignée", pièce de théâtre montée et interprétée par des détenus de la prison T Tipi d'Ümraniye à Istanbul
L'histoire :
Şener travaille pour le chef de clan Zalim surnommé "le cruel". Un jour, ce dernier se dispute avec Şehsuvar, un autre chef, au sujet d'un boeuf et le tue avec son revolver.
Pour ce délit, le jeune Şener, âgé de 15 ans, va endosser le rôle du criminel et être condamné à 15 ans d'emprisonnement.
Cette expérience unique en milieu carcéral a permis d'apprendre à Pınar Gordie qu'il faut toujours croire et ne jamais flancher.
Seul établissement pénitentiaire en Turquie à monter des pièces de théâtre interprétées par des prisonniers, la prison T Tipi d'Ümraniye a souhaité, une fois de plus, faire appel à une femme, les expériences passées ayant montré que celles-ci étaient bien plus productives.
Henri Vantieghem, Consul Général de Belgique à Istanbul, a livré ses impressions :
Une visite des plus instructives qui a permis de constater le bon niveau de traitement humain des détenus dans la prison T Tipi d'Ümraniye.
L'activité théâtrale dont nous avons été les témoins, comme d'autres activités auparavant montrées dans le petit film de présentation de l'établissement, est une fenêtre ouverte depuis la prison de l'esprit sur le monde et permet une réflexion sur le sens des actes, même criminels, et sur le sens de la vie en général.
Le détenu, bien qu'il ait été reconnu coupable d'un crime, reste un homme qui durant sa punition, doit avoir la chance de s'améliorer. Le théâtre offre cette possibilité.
Nous avons fait pendant les quelques heures de la visite l'expérience de ce que raconte la vie en prison. Par le théâtre, on nous a parlé des sentiments des détenus et anciens détenus ; de leurs peurs et espoirs, de la privation de la liberté et de la chaleur de la famille. Cette activité évoque aussi quelques bribes de leur passé et leur permet de le revivre ou de le rejouer, pour envisager un futur plus serein et en dehors de la criminalité.
Henri Vantieghem, Consul Général de Belgique à Istanbul avec Pınar Gordie, réalisatrice de "La vie consignée" lors du premier gala
Pour Fehmi Tosun, Procureur Général d'Istanbul rive anatolienne : L'art est le médicament de l'âme humaine. Parmi les ramures de l'art, le plus important et le plus efficace est le théâtre... miroir de l'être humain. En plus de se découvrir soi-même et en faisant vivre d'autres pensées, cela empêche de rester enfermé sur soi et permet d'aller plus loin, car le théâtre est l'art de mettre en scène nos songes, nos rêves, nos pensées.
Uğur Seçgin, Substitut du Procureur Général d'Istanbul pour la rive anatolienne, explique :
Une société où il n'y a pas de solidarité, où les individus ne sont pas responsables les uns des autres, est un chaos.
Le développement culturel, dont le théâtre est l'un des facteurs essentiels qui y pourvoit, est important pour les individus et la société. Le théâtre transmet l'art aux individus et le fait vivre. Il éveille les gens sur les problèmes individuels ou de société et transmet des messages. Le développement de l'esprit doit se nourrir avec le théâtre.
En tant que détenus, personnes isolées de la société, aux libertés limitées, aux espoirs affaiblis tant qu'ils sont à l'intérieur de nos établissements, ils seront tournés vers l'avenir avec de nouveaux espoirs grâce aux activités sociales et culturelles. Ceux qui font du théâtre et les spectateurs y gagnent.
Ce genre d'activités artistiques permet sans doute aux détenus de faire preuve de bienveillance, de changer leur comportement et leur redonne confiance en soi.
Devrim, un des acteurs, livre ses sentiments : Dehors, je n'ai jamais été au théâtre, je trouvais ça absurde mais pour que le temps passe plus vite, j'ai commencé à en faire et chaque jour qui passe, c'était un divertissement plus important... Si dehors, on m'avait dit, tu porteras des vêtements de femme, une perruque, tu te maquilleras, jamais je n'aurais accepté de le faire. Je pense qu'avec l'art, la vision du monde d'une personne change. Ici, je ressens de la joie et du bien-être et j'attends avec impatience que mes enfants me voient jouer. Heureusement que j'ai commencé à faire du théâtre...
Pour Ferhat, jouant un rôle de policier dans la pièce :
Et comme dit Ayhan, autre acteur : La vie est d'ailleurs une pièce de théâtre, l'existence une scène. En fait, sans nous en rendre compte, nous sommes des figurants sur cette scène.
Trois autres représentations publiques ont été organisées afin qu'un maximum de personnes intéressées, tant par le théâtre que par les efforts de réinsertion culturelle et sociale en faveur des détenus, ainsi que les familles de ceux-ci, puissent passer un moment à la fois agréable et inoubliable dans un univers mal connu.
De ce fait, ce dernier est malheureusement trop souvent dépeint de façon bien plus noire qu'il ne l'est systématiquement. Des actions positives et bénéfiques y sont créées pour des personnes qui, bien qu'ayant commis des actes plus ou moins graves, sont avant tout des êtres humains dotés d'une sensibilité que parfois leur vie a réduite ou modifié...