30 Juin 2016
Une vaste et lumineuse salle de sports dotée également d'une belle scène. Nous sommes début juin 2016 dans la prison L No 3 pour hommes étrangers – les femmes étant incarcérées à Bakırköy - située dans le campus pénitentiaire de Maltepe sur la rive asiatique d'Istanbul. Ce dernier comprend au total 5 prisons : 2 fermées pour turcs, 1 fermée pour étrangers, 1 pour enfants et jeunes et une prison ouverte.
Cet après-midi, comme tous les ans, a lieu un spectacle donné par quelques uns des 1582 détenus de 97 nationalités différentes incarcérés ici, un monde à lui tout seul...
Derrière les trois rangées destinées au protocole et à diverses autres personnes, la majorité des quelques 500 personnes rassemblées là sont des prisonniers assis sur des chaises ou sur les gradins.
Certains reviennent d'un tournoi de football et sont vêtus d'une tenue de sport. D'autres en chemise blanche et gilet sans manches effectuent le service pour les invités.
Après un message de bienvenue délivré par différents détenus dans leur propre langue puis en langue turque tous ensemble, une minute de silence suivie de l'hymne national turc vont précéder les discours d'ouverture prononcés par le le directeur de l'établissement Ziya Baytam et par le Procureur Général Fehmi Tosun.
Tous les Consuls ont été invités mais sont finalement représentés ce jour-là la Russie, l'Iran, la Pologne et le Kazakhstan.
Spectacle présenté par les détenus de la prison pour hommes étrangers de Maltepe à Istanbul
Le spectacle, monté uniquement avec l'aide de personnel de la prison – enseignant, psychologiques et employés – ainsi que des détenus bénévoles à raison de 2 heures de travail par jour durant un trimestre, peut commencer.
Un groupe d'espagnols sera le premier à monter sur scène et à enflammer la salle avec des rythmes particulièrement animés. Il sera suivi de six hommes en pantalon noir et chemise blanche portant en guise de ceinture une étole rouge qui vont eux aussi enchanter le public avec leur danse rom.
Le groupe vocal L3 – du nom de l'établissement – composé de 7 interprètes en chemise et cravate prend la relève et chante en turc.
Un jeune nigérien accompagné de musiciens iraniens va ensuite chanter aussi en turc.
L'auditoire applaudit à tout rompre les différentes prestations et manifeste bruyamment son enthousiasme.
Quatre hommes portant la tenue traditionnelle utilisée pour la danse harmandalı originaire de la région égéenne et de l'ouest du pays vont faire sensation.
Juste derrière les rangées officielles, un détenu, la soixantaine, portant une croix autour du cou, danse sur sa chaise.
Le spectacle s'achève avec une performance de break dance effectuée par un groupe de jeunes africains qui clôtureront ensuite cette après-midi récréative fort plaisante avec une danse traditionnelle turque - halai - qu'ils interprètent avec un gardien, celui ayant formé les danseurs qui se débrouillent aussi bien qu'un turc dans cet exercice.
Deux hommes ne peuvent résister à l'appel de la musique et se lèvent également pour danser, tout comme trois installés en haut des gradins, suivis par quelques membres du personnel.
Le personnel pénitentiaire est sympathique et affable, tout comme dans la prison Ümraniye T Tipi que je connais depuis deux ans et demie. On est loin de s'imaginer que prisonniers et gardiens peuvent faire bon ménage naturellement...en étant tout simplement et avant tout des hommes... Il suffit d'observer les échanges et l'ambiance chaleureuse qui règne pour y croire.
A la fin du programme, les artistes d'un jour se retrouvent sur la scène pour une joyeuse séance photos.
Les spectacteurs repartent doucement par groupes, les uns emportant leur chaise avec eux… mais surtout la plupart une étincelle de joie dans les yeux.
Dans cette prison de Maltepe réservée uniquement aux étrangers, 40 à 50 % des détenus exercent tous les jours une occupation et sur la semaine, quasiment tous – exceptés en cas de sanction disciplinaire - effectuent une ou plusieurs activités, qu'elle soit sportive, culturelle ou de formation.
Sont proposés ici des cours de turc, d'informatique, de design, d'électricité, du tennis de table, du football, du volley et du basket et un atelier de dessin et peinture.
De nombreuses œuvres réalisées à l'intérieur de l'établissement sont d'ailleurs exposées sur le parcours menant à la salle de sports et de spectacles.
En outre, certains détenus habitant en Turquie depuis longtemps connaissent bien le turc et aident les autres pour l'apprentissage de la langue.
Le directeur à la tête de cet établissement depuis un an après avoir été à la tête d'une prison de Diyarbakir, est secondé de 4 sous-directeurs. En outre, un Procureur de la République spécifique au campus y exerce ses fonctions.
Une femme enseignante est responsable de la formation et la prison L3 pour étrangers de Maltepe compte aussi un médecin, trois psychologues ainsi qu'un travailleur social s'occupant de travaux psychologiques en groupes.
Les détenus sont regroupés par pays et/ou affinités culturelles et comme dans toutes les prisons turques, chaque cellule donne sur une cour accessible en permanence du lever au coucher du soleil.
Tableau réalisé par un détenu de la prison de Maltepe à Istanbul
De même, à Maltepe comme partout en Turquie, un aumônier envoyé par la Diyanet - Ministère du Culte - vient tous les jours apporter un réconfort spirituel aux prisonniers musulmans turcophones. Il n'y a pas de salle de prière – mescit - pour les détenus musulmans au sein de la prison, mais ils peuvent aménager un coin dans leur cellule pour prier, tout comme peuvent également le faire les prisonniers des différentes religions monocéphales reconnues.
Les livres sacrés sont autorisés, tout comme portraits ou statues de la Vierge, croix, etc qui fleurissent dans certaines cellules selon leurs occupants.
Ces trois heures passées au sein de la prison pour hommes étrangers d'Istanbul constituent une véritable note de couleur et d'espérance. L'humanisme existe, même là où les préjugés ont la vie dure.
Spectacle de break dance réalisé par des détenus de la prison pour hommes étrangers à Maltepe, Istanbul
Il est fort probable que le programme récréatif proposé soit réinscrit au calendrier à l'automne prochain, dans une version élargie et permettra ainsi à tous, sur la scène comme dans le public, d'oublier, pour un temps donné et différent pour chacun, qu'ils sont derrière les barreaux.
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