10 Septembre 2008
Interview publiée dans "Aujourd'hui la Turquie" de septembre 2008
Dans le cadre des festivités de la fin du programme de réhabilitation des quartiers de Fener et Balat à Istanbul, nous avons rencontré Monsieur Marc Pierini, ambassadeur de l'Union Européenne, qui a bien voulu répondre à nos questions.
De gauche à droite Marc Pierini, Ambassadeur de l'Union Européenne, Ertuğrul Günay, Ministre Turc de la Culture et du Tourisme, Mustafa Demir, Maire de l'arrondissement de Fatih et Erman Tuncer, consultant du Maire d'Istanbul
Monsieur l'ambassadeur, à quelles occasions ont eu lieu vos visites à Istanbul ? Quels sont les principaux programmes d’aide dont bénéficie cette ville ?
Je viens à Istanbul environ douze à quinze fois par an, qu'il s'agisse de contacts avec les milieux d'affaires, les médias, les universités et centres de recherches ou les ONG, de visites de projets, de conférences et, bien sûr, aussi lors des visites officielles, telle celle du président José Manuel Barroso en avril dernier. Il est nécessaire pour un ambassadeur en poste à Ankara de venir prendre le pouls de la capitale économique du pays. Cela permet également de connaître cette capitale culturelle, si vaste et si diversifiée.
Bien entendu, l'UE, dans le cadre du programme de préadhésion qu'elle met en œuvre en Turquie, a de multiples projets à Istanbul. Nous disposons également d'un centre d'information de l'UE, situé à Taksim, et qui répond à toutes les sollicitations du public, des entreprises, des universités, etc.
Concernant la Commission, qui fournit des dons, je peux citer des écoles primaires, le centre social de Tarlabaşı, le système de contrôle de la navigation locale sur le Bosphore et la mer de Marmara ou encore l'appui à Istanbul 2010 Capitale européenne de la culture.
Quant à la Banque européenne d'investissement, qui accorde des prêts, je peux citer les financements du réseau ferré régional (Marmaray et autres) ou encore l'expansion de la flotte de Turkish Airlines.
Monsieur Marc Pierini durant son allocution officielle
D'autres projets de rénovation de quartiers sont en cours à Istanbul (Süleymaniye, Eminönü, Tarlabaşı) ; l'UE va-t-elle également apporter sa contribution financière et où en est-on si c'est le cas ?
Le projet de réhabilitation des quartiers historiques de Fener-Balat, financé par l'UE est, comme tous les autres que la Commission européenne met en œuvre en Turquie, un « projet de démonstration ». Il s'agit de transférer un savoir-faire, de montrer un chemin, et non pas de se substituer à l'autorité publique.
Dans ce cas précis, le savoir-faire concerne les méthodes de rénovation, la compatibilité entre la rénovation du patrimoine historique et la vie quotidienne des habitants, la concertation systématique avec ceux-ci, la création d'un centre social destiné aux femmes et aux enfants ou encore la mise au point d'une politique de gestion des déchets solides.
Il appartient ensuite aux autorités de la municipalité de Fatih et de celle du Grand Istanbul de répliquer cette méthodologie dans d'autres lieux.
Je remarque à ce propos que le récent rapport de la Commission du patrimoine mondial de l'UNESCO, qui est assez critique sur la politique de gestion du patrimoine par la ville d'Istanbul, considère que le projet de l'UE à Fener-Balat est exemplaire.
Pour ce qui est d'autres financements, les décisions relèvent des autorités gouvernementales turques dans le cadre d'un exercice de programmation des financements de préadhésion. Ce n'est donc pas la Commission européenne seule qui choisit les projets qu'elle souhaite financer.
La superbe demeure de l'écrivain roumain Dimitri Kandemir à Fener, réhabilitée par l'Union Européenne
Dans quel cadre l'UE finance-t-elle des travaux en Turquie ?
Les financements européens en Turquie relèvent de la politique dite de « préadhésion », qui découle de la décision unanime du Conseil des ministres de l'UE de lancer des négociations avec la Turquie en vue de son adhésion à l'Union européenne. Nous sommes donc sur un terrain politique parfaitement bien défini. La combinaison d'une négociation d'adhésion et de programmes financiers de préparation à l'adhésion est exactement la même politique qui a été suivie dans le cas des pays d'Europe centrale ou qui est suivie actuellement avec la Croatie.
Dans les rues de Balat avec le Maire de Fatih, Mustafa Demir, le Ministre turc de la Culture, Ertuğrul Günay et l'architecte Burçin Altinsay, co-directrice locale du programme de travaux
Que pensez-vous de l'avancement du processus d'adhésion de la Turquie à l'UE ?
Le processus de négociation en vue de l'adhésion de la Turquie a été lancé concrètement en octobre 2005 et il se poursuit à un rythme régulier. Le cadre des négociations est parfaitement défini et accepté par tous les interlocuteurs, la Turquie comme les 27 États membres de l'Union. La conditionnalité de la négociation est, elle aussi, bien connue : elle repose sur les critères politiques – dits critères de Copenhague – et sur les 35 chapitres qui forment ce qu'il est convenu d'appeler « l'acquis communautaire ».
Dans toute négociation, il est permis de penser qu'elle pourrait aller plus vite. Dans le cas de la Turquie, il s'agit d'un processus de longue haleine car l'absorption de l'acquis est une tâche ardue, qui requiert de multiples réformes structurelles et politiques. Dans nombre de cas, il faut changer des lois, adapter des procédures, changer des équipements et, surtout, il faut faire évoluer les mentalités. Cela ne se fait pas en un jour, ni même en un an.
Somptueuse demeure réhabilitée par l'Union Européenne
Pensez-vous que les encouragements – notamment financiers – dans cette perspective sont à la hauteur des efforts accomplis par le pays ?
Le niveau d'un programme financier de préadhésion est toujours le sujet d'une divergence de vues entre l'Union et le pays en négociation. Ce n'est par définition jamais assez.
Remarquons tout de même que le programme de préadhésion géré par la Commission européenne a quasiment atteint le seuil des 500 millions d’euros – en subventions, je le rappelle – en 2007 et qu'il continuera de progresser chaque année pour atteindre 780 millions d’euros en 2011.
Compte tenu de la durée des projets – trois à quatre ans en moyenne – cela représente aujourd'hui un portefeuille de quelque 200 projets actifs d'une valeur totale de plus d'un milliard et demi d'euros, auxquels s'ajoutent les prêts de la BEI pour environ deux milliards d’euros par an.
Il s'agit donc d'un effort important, soutenu et croissant qui vient appuyer les réformes décidées par les autorités turques.
Maison de Balat en chantier
Dans le cadre du contexte politique actuel dans ce pays, quelle devrait-être l'attitude de l'UE ?
Le débat politique actuel fait partie de la dynamique de la démocratie turque. L’UE n'y est pas partie prenante et ne saurait s'y impliquer, notamment dans ses aspects judiciaires.
Rappelons-nous toutefois que la Turquie négocie actuellement son adhésion à l'UE. Donc, par définition et – je le souligne – par consentement mutuel, l'Union observe avec acuité ce qui se passe en Turquie dans la perspective d'une adhésion future. Dans ce cadre, il est tout à fait normal que la Commission européenne analyse avec une attention extrême ces développements, notamment dans la perspective de l'élaboration de son rapport annuel qu'elle publiera en novembre prochain, et qu'elle les apprécie à la lumière des critères politiques et de l'acquis communautaire.
Lors de l'inauguration du centre social le 13 juillet dernier