31 Octobre 2008
La localité de Devrek située à quelques kilomètres de Zonguldak, en Mer Noire, possède une culture originale, celle de la canne, qu'on appelle en turc "baston". Le terme de bastonnade qui signifie "volée de coups de bâton" semble venir de ce mot.
L'autre jour à Taksim, j'ai vu "René la canne"
Une canne, ce n’est pas un troisième pied, c’est un accessoire ! Cette phrase, c’est Rüştü, le fils du célèbre fabricant de cannes artisanales, Münteka Çelebi, qui me l’a répétée. Son père en avait fait son adage.
Münteka Çelebi est né à Devrek en 1935 et est décédé le 1er janvier 1994.
En 1982, alors qu’il dirige une fabrique de tuiles et de briques, Çelebi usta (Usta voulant dire « maître »), s’intéresse de plus près à la réalisation des quelques cannes qu’il voit çà et là. Il apprend à en confectionner auprès des artisans qui les fabriquent mais pour lui, c’est avant tout un divertissement.
Münteka Çelebi dans son atelier
Il continue à en créer en faisant sa publicité en parallèle et, petit à petit, la clientèle s'étoffe. Le petit atelier qu'il occupe de 1982 à 1987 ne suffit plus, il déménage dans les locaux actuels.
Aujourd'hui, une vingtaine d'ateliers existe à Devrek et emploie au total une cinquantaine d'artisans. Çelebi est l'entreprise la plus importante avec ses 7 employés. Le modèle le plus simple représente une demi-journée de travail pour une personne, supporte un poids de 150 kg et se vend à partir de 30 ytl (environ 15 €).
Par contre, l'un ou l'autre modèle particulièrement sophistiqué peut nécessiter un mois à un mois et demi de travail. Les cannes les plus coûteuses vont jusqu'à 1600 ytl (environ 800 €) et 2750 ytl (soit 1375 €). Il est très difficile de réaliser plusieurs modèles identiques. Chacun est presque toujours une pièce unique qui peut être signée du nom de son futur propriétaire, tel que celui qui m'a été offert.
Environ 5000 exemplaires sont vendus chaque année par l’entreprise actuelle dirigée par le fils de Münteka Çelebi.Le magasin ressemble à un musée ; toutes les cannes personnelles du maître Çelebi y sont exposées dans une vitrine et de nombreux articles de presse évoquant le maître sont affichées.
Ici, on n'est pas avare de son temps pour faire découvrir aux curieux l'art de la canne.
Celles-ci sont fabriquées avec les branches du cornouiller, arbre ou arbrisseau qu'on trouve dans les haies et les bois et dont le bois, très dur, est aussi utilisé pour la réalisation de manches d'outils.
Ces arbres sont élagués tous les ans par des spécialistes. Les branches sont séchées durant un an.
25 à 30 branches vont bouillir entre une demi-heure et une heure dans une "cocotte-minute" artisanale afin de ramollir le bois dans un premier temps. L'une après l'autre, chaque branche passera alors dans un "modèle" qui permettra de redresser le bois afin qu'il soit parfaitement droit sur toute sa longueur.
L'étape suivante consiste à raboter la branche. Une corne de buffle sera apposée en guise de manche et évitera l'absorption de microbes.
Différentes limes permettront de travailler à la canne à sa guise, puis du papier de verre sera utilisé pour la finition. Un bain d'acide sulfurique mélangé à de l'eau et à des ingrédients divers (peinture en poudre pour faire la couleur noire, de l'acide nitrique pour réaliser le brun) donne des tons différents et protège le bois.
De l'acide additionné de bronze, d'un clou, d'une vis ou... d'un tampon à récurer sera ainsi versé aux endroits de la canne selon la couleur et le résultat escomptés.
Il faut en principe attendre 2 à 3 jours pour que les teintes sèchent mais selon les besoins, le séchage sera accéléré par un passage au-dessus d'une flamme de gaz. La pose du vernis se fera lors d'un passage éclair de chaque canne dans un tube d'environ 1 m de long, soit en entier, soit partiellement. A l'intérieur se trouve une poudre colorée dont la composition est secrète.
La ville d'Ahlat située près du lac de Van, dans l'Est de la Turquie, est également réputée pour la fabrication de ses cannes, réalisées pour la plupart avec des branches de noyer, parfois de cerisier.
Tous les 3ème dimanches du mois de juillet, Devrek accueille le festival de la canne où l'on expose les plus beaux modèles. De célèbres artistes qui en utilisent régulièrement, font le déplacement et permettent ainsi de mieux faire connaître cet art et de le valoriser.
ÇELEBİ BASTONLARI
Cumhuriyet Alanı Hal Sk – 67800 DEVREK – Tel 0372 556 31 21