7 Novembre 2008
J'ai déjà évoqué Thierry Zarcone en mai dernier par le biais d'un de ses livres "De l'empire ottoman à la République d'Atatürk).
J'ai réalisé il y a quelques temps cette interview destinée au journal auquel j'ai collaboré. La publication, prévue pour novembre, n'ayant pas eu lieu pour les raisons que tout le monde connaît, il n'y a pas de raison de vous priver de ses propos intéressants.
Thierry Zarcone fait ses études de premier et deuxième cycles à l'université d'Aix-Marseille puis passe sa thèse (Mystiques, Philosophes et Franç-maçons en Islam) à l'université de Strasbourg, en 1989. Chercheur au CN.R.S., il y soutient son habilitation à diriger des recherches en 2004. Celles-ci portent surtout sur l'histoire intellecturelle et religieuse dans les mondes turcs et iraniens. Il s’intéresse particulièrement au soufisme et à la franc-maçonnerie et est un spécialiste de l'histoire intellectuelle et religieuse turque.
Professeur invité à l’université de Kyoto (Japon) pour l'année 2005-2006, il codirige avec Ekrem Işhin et Arthur Buehler le Journal of the History of Sufism, fondé en 2000.
Thierry Zarcone est aussi consultant, depuis 2000, auprès de l’Office for Democratic Institutions and Human Rights, organisme de l'O.C.D.E. De même, il est directeur de recherches au CNRS à Paris, actuellement membre de l’équipe du GSRL (Groupe Société Religions Laïcité).
Thierry Zarcone a vécu neuf ans en Turquie et deux ans en Ouzbékistan.
Auteur de nombreux ouvrages sur ce pays : De l’empire ottoman à la république d’Atatürk, La Turquie moderne et l’Islam, Secret et Sociétés secrètes en islam -. Turquie, Iran et Asie Centrale, XIXe-XXe siècles (traduit en turc), Melamî et Bayramî. Études sur trois mouvements mystiques musulmans, … son regard est intéressant et différent.
Quand, où et pourquoi avez-vous vécu en Turquie ?
J’ai vécu en Turquie de 1984 à 1993 dont 2 ans et demi à Ankara où j’ai enseigné la philosophie à l’école française. J’y suis venu par intérêt de la philosophie turque pour une raison simple. J’aime bien voir le pays des mosquées sous la neige vu que je n’aime pas la chaleur. Ma première découverte du pays a été en fait un voyage d’étudiant en 1977. Je voulais suivre la philosophie, le soufisme et j’ai découvert la pensée turque.
Ma thèse consiste en l’étude d’un intellectuel turc « Riza Tevfik » (poète soufi, grand maître de la franç-maçonnerie en Turquie). Elle se vendrait mieux si on fournissait avec deux cachets d’aspirine (dixit l’auteur).
Après Ankara, j’ai été chercheur à l’institut d’Etudes Anatoliennes d’Istanbul durant 3 ans, puis chercheur à l’Institut français de recherches en Iran à Téhéran. Mais le poste ayant été fermé là-bas, je suis resté à Istanbul. Là, j’ai travaillé sur un projet précis concernant les iraniens d’Istanbul : plusieurs articles ont été publiés, un colloque a été organisé.
En 1993, j’ai passé le concours du CNRS et je suis retourné en France.
Quelle évolution la plus significative a eu lieu selon vous durant votre période de vie en Turquie ?
Une ouverture incontestable vers l’Europe et vers le monde ; je me souviens très bien des années 85 avec l’arrivée de la barre de Mars par exemple !
De même, la modernisation fulgurante du pays, dans les esprits, dans le mode de vie sans pour autant perdre cette hospitalité et cette gentillesse qui m’a marqué depuis mon séjour en Turquie, du plus petit village jusqu’à la ville.
La Turquie est devenue un pays où la population vit maintenant principalement dans les villes.
C’est aussi une nation qui s’est assouplie après le coup d’Etat, qui porte un peu plus d’intérêt pour la « culture musulmane » liée à l’arrivée au pouvoir de partis de sensibilité religieuse.
Quelle est votre réflexion sur l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne ?
La Turquie est la seule amie, géographiquement parlant, qui va dans le sens de l’Europe, parce qu’elle pense comme les Européens ; elle possède un système démocratique, c’est un état de droit, moderne. Si on voit les frontières des pays alentours, la frontière intellectuelle de l’Europe passe au niveau de l’Iran et de la Syrie.
Il est à noter que la Turquie fait partie de l’histoire de l’Europe et pas de celle de l’Asie. C’est le berceau de notre civilisation, Pythagore, l’île de Samos, les grands sites grecs, c’était l’Asie Mineure.
Comment voyez-vous l’avenir de la Turquie dans les 10 prochaines années ?
Le mouvement de modernisation et d’ouverture des esprits se poursuit constamment. Je pense que la peur du péril islamiste est exagérée.
En fait, les islamistes purs et durs ne votent pas, ils prennent le pouvoir et le gardent. Aujourd’hui, ce sont des partis, donc des personnes qui jouent le jeu du compromis politique.
Les islamistes au pouvoir sont des démocrates-musulmans comme on a eu des démocrates-chrétiens en Europe (Allemagne, Italie, en France à un moment).
Sur le plan politique, c’est la voie du compromis en espérant que cela continue ainsi.
Avez-vous des projets actuellement en Turquie ?
Je suis attentif aux changements socio-politiques et religieux du pays pour faire une mise à jour de certains de mes ouvrages. Un livre est en cours d’écriture, en collaboration avec deux amis « Le mystique et l’animal en Islam » dont la publication est prévue pour l’année 2009.