28 Novembre 2008
Tous ceux qui le côtoient connaissent Paşa, mais finalement peu d'entre eux savent comment il s'appelle réellement. Sur ses papiers d'identité, mon ami Fevzi porte en fait les deux prénoms de Fevzi et Paşa. Il hérite du surnom de Paşa donné au maréchal Mustafa Fevzi Paşa, premier chef d'état-major lors de la création de la République de Turquie.
Né en 1971 à Kahramanmaraş, dans le Sud-Est du pays, il vient en 1979 à Besançon rejoindre son père maçon, dans le cadre du regroupement familial.
Paşa et son sourire permanent
Deux ans après, la famille s'installe à Wittenheim, dans la proche banlieue mulhousienne, pour être plus proche de la communauté turque, aucun compatriote n'habitant à Besançon.
Après les années de collège, son père, avec qui il est en froid, l'envoie vivre chez sa grand-mère à Karamanmaraş de 1984 à 1987. Après une année scolaire en Turquie, il entreprend une formation en menuiserie auprès d'un "usta", un maître. Au bout de ces trois années, ses cousins vont convaincre son père de le laisser revenir auprès d'eux... le seul problème étant que ce dernier a détruit tous les papiers de son fils.
A son arrivée en France, Fevzi se voit délivrer un visa d'un mois après quoi, il vivra comme clandestin durant environ un an et demi, le temps que son dossier soit régularisé. Pendant ce temps, il ne quittera guère le quartier, fera des petits boulots au noir, évitera de se montrer dans des lieux publics, des cafés ou autres pour ne pas risquer un contrôle par les services de police.
Papa attentif et câlin à la fois, ici avec Iman, la petite dernière
Une fois son permis de séjour en main, il travaille un peu en intérim avant d'intégrer la SIPP à l'âge de 20 ans où je fais sa connaissance en 2000. Dans cette entreprise d'impression sur textile de linge de lit et de maison alors prospère, il commence comme aide sur machine à impression, puis est polyvalent sur différentes machines avant de devenir chef d'atelier, puis chef d'équipe, puis contremaître.
Entre-temps, en 1990, il rencontre Fadhila, d'origine algérienne qui devient sa femme 3 ans après. De cette union naissent 4 enfants très attachants, Adem (14 (ans), Sofia (13 ans) Kemal (7 ans) et la petite dernière Iman, âgée de 4 ans, dont vous avez déjà fait connaissance.
Paşa et Fadhila, un couple dont les origines différentes sont devenues une richesse pour eux
La famille de Fadhila a bien accepté Paşa, l'inverse a été plus dur jusqu'à la naissance de leur premier enfant. Devenir grands-parents a été le déclic pour porter la mère de leur petit-fils dans leur coeur.
"Je suis turc de coeur mais français dans l'âme ! Je ne renierai jamais cette partie de moi qui m'est chère." me répond-il quand je lui demande comment il se sent. Plus jeune, il se sentait davantage français, à présent il ressent l'appel nostalgique de ses origines.
Il ne retourne pas souvent au pays, en 1993, puis en 2000 seulement et enfin cet été. C'est ce dernier voyage qui lui fait prendre conscience du manque de chaleur humaine, d'odeurs,...
La nostalgie est perceptible dans son regard
A la maison ou au travail, il ne parle pas le turc et ses enfants ne connaissent d'ailleurs pas la langue de leurs aïeuls paternels. Ce qui est le plus important pour Paşa, c'est l'avenir de ses enfants, leur scolarité : "Je ne veux pas qu'ils galèrent comme moi."
Le fait que ses enfants ne connaissent pas le turc est souvent abordé entre copains. Ces derniers reconnaissent toutefois que leurs propres enfants ont plus de difficulté à maîtriser les deux langues.
Paşa n'a pas connu le racisme, ni les problèmes d'intégration et il s'estime 100 % intégré. Il confirme toutefois que pour être reconnu dans la société française, il faut fournir bien plus d'efforts.
A l'époque de son arrivée en France, il se souvient que les gens autour de lui rêvaient de venir vivre en Europe, d'y réussir leur vie. "Qu'ils arrêtent de croire que l'Europe est paradisiaque, on te suce ton sang" souhaite-t-il faire passer comme message à ceux qui rêvent encore.
La famille au grand complet
Sa maison de 180 m2 construite il y a 8 ans dans un lotissement de Kingersheim a été réalisée à 90 % en famille. Son père a fait la maçonnerie et officié comme chef de chantier. Un charpentier extérieur est venu. Les travaux de couverture ont été réalisés en un week-end avec ses frères et des connaissances turques.
Passer quelques heures en compagnie de Paşa et de sa petite famille a été pour moi un vrai moment de bonheur. Discuter, réfléchir sur son vécu, prendre le temps de communiquer et de partager comme savent si bien le faire les turcs, sağol.