1 Juillet 2009
Sur les collines de Péra, en plein centre de l'actuelle Beyoğlu, là où le coeur d'Istanbul bat tous les soirs à tout rompre, se trouvait, vers la fin du XVIème ou au tout début du XVIIème siècle, une vigne acquise par le Roi de France et toujours propriété du pays.
Celle-ci a fait place depuis à un magnifique parc où s'élève l'actuel Palais de France, résidence du Consul ou plutôt de Madame la Consule Générale de France à Istanbul...
François Savary, comte de Brèves, diplomate français, est l'initiateur d'un traité d'alliance et de commerce entre la France et la Turquie, signé en 1604. C'est également lui qui fit construire le premier palais sur cette terre au début du XVIIème siècle.
Cet édifice ne semble pas faire l'unanimité et un de ses successeurs, Henri de Gournay, comte de Marcheville, décide d'utiliser une partie de sa fortune personnelle pour reconstruire un palais plus vaste. Il espère bien que le Roi de France lui remboursera toute ou partie des sommes engagées pour l'occasion...
Façade latérale du Palais de France
Non content de faire ériger ce nouveau palais, deux chapelles sont également construites, l'une à l'intérieur, pour son propre usage, l'autre à l'extérieur. Cette dernière est destinée à accueillir les catholiques français d'Istanbul ainsi que le couvent des Pères Capucins français de la ville.
Je reviendrai, à l’occasion d’un article distinct, sur la suite de l'histoire concernant ces deux chapelles, car celle-ci ne s'arrête pas en si bon chemin…
En 1665, le Palais de France, construit en bois comme la majorité des bâtiments de l'époque, mélange de constructions ottomane - une grande salle centrale entourée de différents salons - et française, est la proie des flammes... Les dégâts sont conséquents !
Durant quelques dizaines d'années, par faute de crédits, le Palais est rafistolé tant bien que mal. Charles Gravier, comte de Vergennes, figure emblématique de l'histoire diplomatique française, va passer treize ans à Istanbul dans ce palais décrépi, de 1755 à 1768.
Il aime cette ville, il aime l'empire ottoman, mais surtout il tombe amoureux d'une jeune veuve levantine, Anne Devivier. Ce diplomate hors du commun a été peint en costume ottoman, tableau visible au musée de Péra de Beyoğlu.
Portrait du Comte Charles de Vergennes, ambassadeur de France de 1755 à 1768
toile réalisée par Van Parys en 1760, collection Palais de France
En 1767, le Palais est à nouveau détruit par un incendie qui le rend inhabitable. François-Emmanuel Guignard, compte de Saint-Priest, successeur de Charles Gravier en qualité d'ambassadeur, obtient du Ministre des Affaires Etrangères de l'époque, le Duc de Choiseul, la reconstruction du Palais, enfin !
Malheureusement, les travaux sont retardés par le conflit russo-turc de 1768 à 1774. C'est finalement en 1777 que la construction du nouveau bâtiment est achevée. Jusqu'à la Révolution Française, des fêtes somptueuses s'y succèdent. 1789, non seulement clôt cet intermède joyeux, mais durant 6 ans, jusqu'en 1795, l'ambassade est fermée.
Réception du 14 juillet 2008 au Palais de France
Trois ans d'accalmie avant que les relations diplomatiques entre la France et la Turquie ne soient rompues. Napoléon Bonaparte a envahi l'Egypte, pays qui fait alors partie de l'Empire ottoman...
En 1802, le Général Brune, Ambassadeur de l'époque, occupe le Palais de Venise alors que l'Ambassadeur d'Angleterre vit au Palais de France, sa résidence ayant été détruite par un nouvel incendie.
En 1815, le nouvel ambassadeur Charles-François de Riffardeau, duc de Rivière, se voit obligé de revenir dans un Palais de France en bien triste état, le Palais de Venise étant devenu possession autrichienne suite au congrès de Vienne qui se tient cette année-là.
1831, une fois de plus, Pera est ravagé par le feu qui détruit non seulement le Palais de France, mais aussi ceux de Hollande et d'Angleterre... Jusque peu avant la Première Guerre mondiale, l'Ambassade de France occupe à Tarabya, sur la rive européenne du Bosphore, un magnifique yalı, le Palais Ipsilanti, offert par le Sultan Selim III en 1807, en remerciement de l'aide apportée par la France lors d'un blocus d'Istanbul par la flotte anglaise.
Tableau de 1896 représentant le sultan Selim III en costume d'apparat- encadrement en marqueterie
Sur le terrain de cette demeure, également ravagée par les flammes par la suite, se dressent depuis 2003 le collège et le lycée Pierre Loti.
Le début du XIXième siècle voit la construction de l'actuel Palais de France grâce à l'ambassadeur Roussin qui obtient l'autorisation et les crédits nécessaires.
Ce nouveau Palais est construit entre 1839 et 1847, sous le règne de Louis-Philippe. L'architecte chargé du projet, Pierre Laurécisque, est un illustre inconnu en France. Dans son pays natal, le seul monument réalisé par cet architecte est le tombeau de famille dans lequel il repose au cimetière de Montmartre à Paris...
Le Palais de France est le chef d'oeuvre laissé par Laurécisque, qui aura vécu et travaillé une dizaine d'années à Istanbul.
Affiche commémorative de la pose de la première pierre de l'actuel Palais de France
gravure d'Henri Cayol, collection du Palais de France
Bien que montré du doigt par certains détracteurs, du fait par exemple que le bâtiment n'était pas chauffé à l'époque, on ne peut qu'apprécier l'architecture des lieux, ni austère comme c'était souvent le cas au XVIIème siècle, ni d'une douceur caractéristique comme de nombreuses constructions du XVIIIème siècle.
Les formes et les proportions y sont harmonieuses, les pièces savamment réparties. Pour la petite histoire, un système de chauffage central au gaz (de marque alsacienne, De Dietrich) existe depuis les années 93-94, auparavant, le combustible en vigueur au Palais était le bois...
Le jardin est sans nul doute le plus somptueux du quartier de Beyoğlu. La célébration annuelle de la Fête Nationale Française qui s'y déroule, est appréciée par tous les convives.
14 juillet 2008 au Palais de France
Le bâtiment a été construit en pierre qui pourrait venir de Malte ou des environs d'Istanbul. De couleur claire, sa texture facile à travailler a permis la réalisation de splendides éléments de décoration telles des croix, des frises, des fleurs, des représentations de cygnes au-dessus de certaines portes. Le monogramme "LP" rappelle l'ère de Louis-Philippe sous laquelle fut érigé le Palais.
Les initiales de Louis Philippe, façade arrière du Palais
Cette pierre relativement poreuse a d'ailleurs posé quelques problèmes en raison de l'humidité qui règne à Istanbul.
Façade arrière du Palais de France
Demain, je vous ouvrirai la porte de certaines pièces du Palais de France...