Faire connaître la Turquie et ses habitants avec les yeux d'une alsacienne qui y vit depuis 19 ans.

Du bretzel au simit

Le Palais de France à Istanbul, quatre siècles d’histoire - volet 1

Sur les collines de Péra, en plein centre de l'actuelle Beyoğlu, là où le coeur d'Istanbul bat tous les soirs à tout rompre, se trouvait, vers la fin du XVIème ou au tout début du XVIIème siècle, une vigne acquise par le Roi de France et toujours propriété du pays.

Celle-ci a fait place depuis à un magnifique parc où s'élève l'actuel Palais de France, résidence du Consul ou plutôt de Madame la Consule Générale de France à Istanbul...


              François Savary, comte de Brèves, diplomate français, est l'initiateur d'un traité d'alliance et de commerce entre la France et la Turquie, signé en 1604. C'est également lui qui fit construire le premier palais sur cette terre au début du XVIIème siècle.

Cet édifice ne semble pas faire l'unanimité et un de ses successeurs, Henri de Gournay, comte de Marcheville, décide d'utiliser une partie de sa fortune personnelle pour reconstruire un palais plus vaste. Il espère bien que le Roi de France lui remboursera toute ou partie des sommes engagées pour l'occasion...


          
                                     Façade latérale du Palais de France

Non content de faire ériger ce nouveau palais, deux chapelles sont également construites, l'une à l'intérieur, pour son propre usage, l'autre à l'extérieur. Cette dernière est destinée à accueillir les catholiques français d'Istanbul ainsi que le couvent des Pères Capucins français de la ville.

Je reviendrai, à l’occasion d’un article distinct, sur la suite de l'histoire concernant ces deux chapelles, car celle-ci ne s'arrête pas en si bon chemin…

En 1665, le Palais de France, construit en bois comme la majorité des bâtiments de l'époque, mélange de constructions ottomane - une grande salle centrale entourée de différents salons - et française, est la proie des flammes... Les dégâts sont conséquents !

           

Durant quelques dizaines d'années, par faute de crédits, le Palais est rafistolé tant bien que mal. Charles Gravier, comte de Vergennes, figure emblématique de l'histoire diplomatique française, va passer treize ans à Istanbul dans ce palais décrépi, de 1755 à 1768.

Il aime cette ville, il aime l'empire ottoman, mais surtout il tombe amoureux d'une jeune veuve levantine, Anne Devivier. Ce diplomate hors du commun a été peint en costume ottoman, tableau visible au musée de Péra de Beyoğlu.


                        
           Portrait du Comte Charles de Vergennes, ambassadeur de France de 1755 à 1768
                      toile réalisée par Van Parys en 1760, collection Palais de France


En 1767, le Palais est à nouveau détruit par un incendie qui le rend inhabitable. François-Emmanuel Guignard, compte de Saint-Priest, successeur de Charles Gravier en qualité d'ambassadeur, obtient du Ministre des Affaires Etrangères de l'époque, le Duc de Choiseul, la reconstruction du Palais, enfin ! 

Malheureusement, les travaux sont retardés par le conflit russo-turc de 1768 à 1774. C'est finalement en 1777 que la construction du nouveau bâtiment est  achevée. Jusqu'à la Révolution Française, des fêtes somptueuses s'y succèdent. 1789, non seulement clôt cet intermède joyeux, mais durant 6 ans, jusqu'en 1795, l'ambassade est fermée.


           
                             Réception du 14 juillet 2008 au Palais de France

Trois ans d'accalmie avant que les relations diplomatiques entre la France et la Turquie ne soient rompues. Napoléon Bonaparte a envahi l'Egypte, pays qui fait alors partie de l'Empire ottoman...

En 1802, le Général Brune, Ambassadeur de l'époque, occupe le Palais de Venise alors que l'Ambassadeur d'Angleterre vit au Palais de France, sa résidence ayant été détruite par un nouvel incendie.

En 1815, le nouvel ambassadeur Charles-François de Riffardeau, duc de Rivière, se voit obligé de revenir dans un Palais de France en bien triste état, le Palais de Venise étant devenu possession autrichienne suite au congrès de Vienne qui se tient cette année-là.


            

1831, une fois de plus, Pera est ravagé par le feu qui détruit non seulement le Palais de France, mais aussi ceux de Hollande et d'Angleterre...  Jusque peu avant la Première Guerre mondiale, l'Ambassade de France occupe à Tarabya, sur la rive européenne du Bosphore, un magnifique yalı, le Palais Ipsilanti, offert par le Sultan Selim III en 1807, en remerciement de l'aide apportée par la France lors d'un blocus d'Istanbul par la flotte anglaise. 

                     
Tableau de 1896 représentant le sultan Selim III en costume d'apparat- encadrement en marqueterie

Sur le terrain de cette demeure, également ravagée par les flammes par la suite, se dressent depuis 2003 le collège et le lycée Pierre Loti.

Le début du XIXième siècle voit la construction de l'actuel Palais de France grâce à l'ambassadeur Roussin qui obtient l'autorisation et les crédits nécessaires.

                    

Ce nouveau Palais est construit entre 1839 et 1847, sous le règne de Louis-Philippe. L'architecte chargé du projet, Pierre Laurécisque, est un illustre inconnu en France. Dans son pays natal, le seul monument réalisé par cet architecte est le tombeau de famille dans lequel il repose au cimetière de Montmartre à Paris...

Le Palais de France est le chef d'oeuvre laissé par Laurécisque, qui aura vécu et travaillé une dizaine d'années à Istanbul.


                     
   Affiche commémorative de la pose de la première pierre de l'actuel Palais de France
                        gravure d'Henri Cayol, collection du Palais de France

                                
Bien que montré du doigt par certains détracteurs, du fait par exemple que le bâtiment n'était pas chauffé à l'époque, on ne peut qu'apprécier l'architecture des lieux, ni austère comme c'était souvent le cas au XVIIème siècle, ni d'une douceur caractéristique comme de nombreuses constructions du XVIIIème siècle.

Les formes et les proportions y sont harmonieuses, les pièces savamment réparties. Pour la petite histoire, un système de chauffage central au gaz (de marque alsacienne, De Dietrich) existe depuis les années 93-94, auparavant, le combustible en vigueur au Palais était le bois...

              
Le jardin est sans nul doute le plus somptueux du quartier de Beyoğlu. La célébration annuelle de la Fête Nationale Française qui s'y déroule, est appréciée par tous les convives.
                                      
                
                                       14 juillet 2008 au Palais de France

Le bâtiment a été construit en pierre qui pourrait venir de Malte ou des environs d'Istanbul. De couleur claire, sa texture facile à travailler a permis la réalisation de splendides éléments de décoration telles des croix, des frises, des fleurs, des représentations de cygnes au-dessus de certaines portes. Le monogramme "LP" rappelle l'ère de Louis-Philippe sous laquelle fut érigé le Palais. 


                    
                         Les initiales de Louis Philippe, façade arrière du Palais

Cette pierre relativement poreuse a d'ailleurs posé quelques problèmes en raison de l'humidité qui règne à Istanbul.


                    
                                  Façade arrière du Palais de France

Demain, je vous ouvrirai la porte de certaines pièces du Palais de France...


 

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R
Que vous soyez heureux de me "retrouver", M. Silvestre, m'honore; et vous ne devez certes pas l'ignorer, à la lumière des quelques contacts que j'estimais pour ma part extrêmement intéressants que nous eûmes vous et moi ...<br /> <br /> Même si c'est pratiquement une des premières fois que, me semble-t-il, vous apparaissez sur le blog de Nathalie (que je n'ai jamais abandonné, quant à lui), il m'étonne que vous soyez "surpris" de me lire ici, car les raisons pour lesquelles j'ai "déserté" les quelques blogs gravitant autour de la "planète Cat" ont été, en son temps, clairement exposées chez elle, et sans détour aucun.<br /> <br /> Toutefois, j'ignore si cette mienne mise au point d'alors fut publiée, ... ou censurée.<br /> Cat qui, par parenthèses, fidèle lectrice de Nathalie, semble aussi ici s'être "volatilisée" ... mais que j'ai retrouvée - par je ne sais plus quel heureux hasard -, sur le blog d'un dessinateur hors pair, mon ami Jean-Claude Vincent ...<br /> <br /> Mais pour ne déplaire à qui que ce soit, et surtout pas à Nathalie, vous me permettrez - pour ne pas en outre plus longtemps phagociter son espace - de clore ici ces prémices de dialogue et de vous inviter, si d'aventure vous en ressentez l'envie, de poursuivre cet "entretien" soit sur mon blog personnel, soit sur mon adresse mail; deux possibilités dont, par ailleurs, vous devez peut-être encore posséder les liens ...<br /> <br /> <br /> richard.lejeune@yahoo.fr <br /> http://egyptomusee.over-blog.com<br /> <br /> A bientôt, cher Jean-Pierre ?
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N
<br /> Je pense qu'effectivement ce genre de discussion serait plus à même de se poursuivre en dehors du blog...<br /> <br /> <br />
J
Heureux et surpris de retrouver Richard Lejeune qui a déserté nos blogs depuis plusieurs mois. A bientôt peut-être !
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N
<br /> C'est une réflexion douce-amère je présume cher Jean-Pierre... Faute de temps, je déserte aussi depuis quelques semaines la majorité des blogs. 24 h ne sont plus suffisantes pour tout faire ! Merci<br /> pour ton passage.<br /> <br /> <br />
R
Tu avais déjà souvent évoqué Madame le Consul (comme il faudrait encore le dire, paraît-il, dans une langue française dont le "machisme" n'est plus à prouver (très peu d'académiciennes, d'ailleurs sous la Coupole, mais une Belge néanmoins (pardon pour ce cocorico) : Marguerite de Crayencour, mieux connue sous son nom d'auteur(e), à savoir Marguerite Yourcenar (nom qui n'est, par ailleurs, jamais qu'une anagramme du précédent !)<br /> <br /> Bon, je m'éloigne et me perds dans mes parenthèses ouvertes et mal refermées ...<br /> <br /> Je reprends : nous "connaissions" donc cette dame, Consul de France, mais pas l'intérieur de sa résidence. Ce sera chose faite, apparemment, avec le prochain article que j'attends avec impatience.<br /> <br /> Pour l'heure, j'ai appris beaucoup de points d'histoire et d'architecture sur ce bâtiment : pour cela, déjà, grand merci à toi ...
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N
<br /> Il y aurait encore eu bien plus de choses à dire au niveau de l'histoire et de l'architecture des lieux, mais cela nécessiterait bien plus qu'un simple article.<br /> <br /> <br />
F
Quelle mine d'informations, cet article!! Merci de nous faire partager tes connaissance, Nathalie...
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N
<br /> Je ne sais pas si on peut parler de mes connaissances, car j'ai appris la plupart des choses ces dernières semaines, je parlerais plutôt de faire partager mes découvertes et ma curiosité.<br /> <br /> <br />
O
Hé bien de superbers photos pour une superbe batisse, que dis je un monument à la française...<br /> Tu as vraiment de chance...
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N
<br /> C'est un endroit que j'aime beaucoup !<br /> <br /> <br />
M
Le Palais de France, est-ce le même bâtiment que le consulat français en haut de l'Istiklal, ou s'agit-il de deux choses totalement différentes?<br /> Je barbotte quelque peu (dans les eaux du Bosphore sans doute!!) et jaurais besoin de tes lumières!<br /> Öptüm!
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N
<br /> Non, le Palais se situe dans une petite rue fortement pentue qui part d'Istikal sur la gauche en descendant de Galatasaray vers Tünel.<br /> <br /> <br />
E
chaque fois que je viens sur ton blog je suis sûre d 'y faire un voyage et je ne suis jamais déçue<br /> je t embrasse à bientôt
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N
<br /> <br /> Toi qui aime voyager, je me doute bien que cela n'est pas fait pour te déplaire...<br /> <br /> <br /> <br />
J
A-t-on enfin pensé à l'équiper d'extincteurs ?
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N
<br /> Oui m'sieur assurément !<br /> <br /> <br />
V
Merci pour toutes ces photos et commentaires, j'attends la suite avec impatience...<br /> Le jardin de cette bâtisse me semble pas très grand?Bonne journée!
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N
<br /> <br /> Il n'est pas si petit que ça et accueille je crois environ 2000 convives le 14 juillet...<br /> <br /> <br /> <br />
C
magnifique bâtiment que j'aimerai bien habiter !!!!
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N
<br /> Envoies ta candidature !<br /> <br /> <br />