9 Juillet 2009
Tous les jours, de 7 heures à 21 heures environ, Zeynel et Ahmet sont présents à tour de rôle dans leur petite épicerie située à quelques mètres à peine de mon immeuble.
Dans ma tranquille rue de Cihangir, trois épiciers, sinon rien, ont encore pignon sur rue et jusqu'au début des années 80, ils étaient au nombre de.... huit dans cette même rue !
Malgré ses 80 ans, Zeynel bey affiche encore une énergie incroyable. Eté comme hiver, il trie tous les matins les journaux sur le présentoir prévu à cet effet, livre pain et lait dans le panier de certains voisins, dépose quelques journaux devant l'un ou l'autre immeuble.
Il sert ses clients avec le sourire et me salue toujours de la main à chaque passage devant son épicerie, ponctuant son signe d'un petit mot gentil.
Tous les matins, Zeynel bey range consciencieusement ses journaux
A partir du début des années 60, Zeynel bey a été employé dans une şarküteri (épicerie fine) située à Ankara pazarı, marché couvert alors réputé installé sous l'hôtel Marmara de la place de Taksim à Istanbul.
Zeynel bey se souvient très bien de ses premières années à Ankara Pazarı. En 1962, huit ans après la création de Migros Türk par la municipalité d'Istanbul en relation avec la coopérative suisse Migros - et dont le premier supermarché a ouvert à Beyoğlu en 1957 -, 45 camions de vente sillonnaient les quatre coins de la ville pour proposer leurs marchandises aux habitants d'Istanbul.
La plus que centenaire épicerie de Cihangir, qui appartient à présent à Ahmet, était longtemps exploitée par un épicier grec du nom d'Ispiro. A la mort de celui-ci en 1977, elle est vendue à un commerçant grec qui décède à son tour en 1984. C'est alors Ahmet qui va en devenir le troisième et toujours actuel propriétaire. Son père, qui vient de prendre sa retraite, vient l'aider.
Une vingtaine de mètres carrés compose le magasin même et un peu plus de la même surface, contiguë au commerce, sert de dépôt.
Chez mes voisins bakkal (épiciers), on trouve outre les traditionnels journaux et cigarettes, des produits frais, du riz et de la semoule, des conserves, des boissons, de la soupe instantanée, des barres chocolatées, des gâteaux, des chips, de l'huile, des articles de droguerie et j'en passe... Du pain frais est livré tous les jours et est soigneusement conservé dans le compartiment attitré !
Pour compléter le tableau, certains composants indispensables ont trouvé place dans l'épicerie tels un petit téléviseur, un portrait d'Atatürk et un nazar boncuk destiné à protéger du mauvais oeil... sans oublier un confortable fauteuil pour lire un journal ou suivre un programme télévisé lorsque le temps ne permet pas de s'installer a l'extérieur.
L'accueil est toujours souriant et affable, et ça ne coûte pas plus cher...
Les clients de Zeynel et d'Ahmet sont des voisins mais aussi des gens de passage.
L'approvisionnement des marchandises se fait directement par les grossistes qui viennent livrer les épiciers et tous les règlements se font au comptant.
Ahmet dépose quelques oeufs dans un sachet destiné à une sympathique voisine
Quel que soit le jour, férié ou pas, l'épicerie est ouverte en permanence... sauf à l'heure de la prière, où Zeynel ferme la porte de son commerce pour se rendre rapidement à la mosquée toute proche.
Il y a 25 ou 30 ans, c'était fermé le dimanche comme pour la plupart des magasins à l'époque. Si un épicier ou un autre commerçant avait la malencontreuse idée de rester ouvert ce jour-là, il était verbalisé par les services municipaux...
Livraison à domicile, le panier est là pour ça !
Ces cinq dernières années, près de 22 000 épiceries, telles que celle de Zeynel et Ahmet, ont définitivement fermé leur devanture dans tout le pays avec les changements d'habitudes des consommateurs.
La devanture d'un autre épicier de la rue
Ahmet n'est pas très optimiste quant à l'avenir de la profession en baisse constante. Selon lui, les cinq prochaines années verront disparaître ces commerces de proximité qui ont du mal à résister face aux géants de la grande distribution.