10 Septembre 2009
Si je vous dis que Mehmet amca, né il y a 76 ans de cela, en 1933, à Kilis près de Gaziantep dans le sud-est de la Turquie, exerce toujours la profession de yemenici, cela ne va pas vous dire grand chose.
Et pourtant, je suis certaine qu'un bon nombre d'entre vous ont déjà vu des yemeni, ces chaussures plates traditionnelles en cuir.
Des yemeni
J'ai rencontré Mehmet amca en août dernier au Festival des Mains d'Or à Taksim .
Mehmet amca en plein travail
Cet artisan plein d'entrain, au regard vif et malicieux, apprend le métier aux côtés d'un usta - maître - à l'âge de 14 ans, à la demande de sa mère, après avoir terminé sa scolarité, pour contribuer aux besoins de la famille après le décès de son père. Dix ans plus tard, il devient usta à son tour.
Sa route croise alors celle d'un autre maître, auprès de qui il va travailler durant près d’une trentaine d’années avant que le fils de celui-ci, Orhan, ne prenne la relève. C'est ce dernier qui tenait un stand à Istanbul en août.
14 employés travaillent à l’heure actuelle pour Orhan, certains, comme Mehmet amca, à leur domicile, d'autres dans l’atelier du magasin.
Les modèles sont variés et colorés
Ces chaussures sont constituées de différents cuirs locaux travaillés et traités dans la région de Gaziantep. La semelle est en camız (buffle) ou en öküz (boeuf), une partie intérieure est en cuir de buffle fin, le dessus en oğlak (chevreau) ou en dana (veau). La façade intérieure, quand à elle, est en koyun (mouton) et la fine bande du dessus en chevreau.
Les coutures sont réalisées à l'aide de fils de coton enduits de miel afin de ne plus bouger une fois serrés.
Mehmet amca utilise plusieurs instruments spécifiques pour réaliser ses chaussures, tels le muşta, un poids très lourd en bronze qui permet d'aplatir le cuir. Le biz sert à percer les trous dans la semelle afin de passer simultanément de part et d'autre les deux aiguilles pour les coutures.
Quelques outils utilisés pour la confection des yemeni
Le keski permet de couper le cuir, l'ıhval et le kalıp, tous deux en bois de noyer (qui ne se font plus en bois de nos jours), vont servir à donner au cuir la forme désirée. Le peşkeş va tenir et écarteler le cuir.
Depuis près de trois cents ans, la profession utilise des termes spécifiques correspondant aux différentes pointures : yarım metelik équivaut au 26, metelik au 28, küçük haspe au 30, büyük haspe au 32, vastane au 34, orta ayak au 36, zerden au 38-39, ges au 41, lorta au 43 et üzgar au 45.
Mehmet amca travaille 8 heures au quotidien et confectionne une paire de chaussures par jour qui va lui rapporter 10 TL (moins de 5 Euros) sur un prix de vente moyen de 60 TL.
N'ayant jamais été assuré et n'ayant cotisé pour aucune caisse de retraite en tant que travailleur indépendant, ce n’est pas la maigre pension minimale de 275 TL (environ 130 Euros) perçue trimestriellement de l’Etat qui peut lui suffire pour vivre.
Pour toutes ces raisons, il continue aujourd’hui à fabriquer des yemeni, avec une ardeur à la tâche je dois dire, impressionnante.
J'espère bien revoir, au détour d'un chemin, cet artisan courageux et au verbe haut qui perpétue la tradition des yemeni.
http://www.yemenicihayriusta.com.tr