31 Août 2010
Jean Marcou et la Turquie, une longue histoire pour ce professeur de droit public à l'Institut d'Etudes Politiques de Grenoble qui vient d'achever un séjour de quatre années en tant que chercheur pensionnaire à l'I.F.E.A.
Sa première découverte de la Turquie remonte à 1975. Etudiant alors âgé de 20 ans, connaissant déjà quelques pays du bassin méditerranéen, il est désireux de savoir à quoi ressemblait cette destination à la réputation mauvaise à l'époque. Il parcourt une bonne partie du pays avec un ami en transports en commun et durant six semaines, d'Istanbul - où ils débarquent du train -, au sud égéen, puis l'Anatolie Centrale, l'Est et le Nord-Est.
Ce voyage assez hardi pour l'époque, lui permet de découvrir un pays attachant où il découvre qu'on peut communiquer avec des gens sans nécessairement parler leur langue. "Il suffit pour cela d'être ouvert au monde et prêt à communiquer, à écouter, à regarder les gens vivre, avoir envie de les connaître..."
Les souvenirs de cette autre Turquie qu'aujourd'hui sont encore bien vifs et je pourrais noircir de nombreuses pages d'écriture pour évoquer ses rencontres et moments partagés avec des villageois, des pêcheurs, autour d'une table, d'un jeu de cartes, d'un verre de thé brûlant...
Enthousiasmé par cette riche approche, Jean Marcou revient l'année d'après en voiture cette fois-ci, avec sa petite amie de l'époque.
Sa vie professionnelle et familiale l'éloigne de la Turquie jusqu'en 1988. Il dispose alors d'une semaine de réflexion pour répondre à une proposition de poste dans le cadre de la création du premier département universitaire francophone à l'Université de Marmara d'Istanbul. C'est finalement, d'abord quelques mois tout seul, puis rejoint par son épouse Isabelle et leurs trois enfants âgés de 1 à 6 ans, que la famille Marcou vient s'installer à Istanbul. Jean oeuvre la première année au campus universitaire de Göztepe, sur la rive asiatique, avant d'intégrer le site actuel de Tarabya.
Jean se souvient des séquelles encore visibles du Coup d'Etat de 1980. "Il n'y avait pas la liberté ni la vitalité intellectuelle d'aujourd'hui même s'il y avait déjà un dynamisme économique". Les librairies se comptent alors sur les doigts d'une main, les livres disponibles dans les universités une denrée rare et de type académiques, les publications universitaires quasi inexistantes,... Le quotidien est également plus dur durant cette première tranche de vie en Turquie, les déplacements en transports en communs sans fin et compliqués, les ciels hivernaux pollués par les chauffages au charbon rendant l'air irrespirable.
Ce premier séjour ne fait que renforcer l'intérêt de Jean pour la Turquie, qui de par ses fonctions à la fois de management mais aussi de professeur de droit constitutionnel comparé et de politique comparée, est amené à découvrir le fonctionnement institutionnel du pays, sa politique,... et à travailler dans un cadre turc qui lui permet de faire connaissance avec étudiants mais aussi intellectuels locaux.
Après ces 4 années passées en Turquie, Jean Marcou poursuit en France d'abord, en Egypte ensuite, ses travaux sur le sujet, les spécialistes de la Turquie en France étant alors peu nombreux. De même, il continue à collaborer avec l'Université de Marmara et participe régulièrement à des colloques qui y sont organisés.
Les discussions avec Jean Marcou sont passionnantes et passionnées
Il vit six ans au Caire - de 2000 à 2006 - où il travaille comme Directeur de la Filière francophone d'Economie et de Sciences Politiques de l'Université, branche concernant environ 250 étudiants.
Durant cette période en Egypte, les regards posés sur la Turquie par les égyptiens - mais aussi le sien - sont différents et intéressants, vus d'un autre continent. Cela permet de comparer la géopolitique régionale, le fonctionnement de pays musulmans très différents, mais aussi de relativiser beaucoup de choses. "Lorsqu'on vit en Egypte et qu'on vient à Istanbul, on est en Europe..." Les récents visiteurs venus du pays des pyramides le confirment encore.
Le séjour effectué à l'I.F.E.A. d'Istanbul et qui vient de s'achever, s'explique par l'envie de Jean de vivre une expérience de recherche et d'en faire son activité principale durant quelques années. Un poste de chercheur contemporain s'ouvre à l'Institut Français d'Etudes Anatoliennes d'Istanbul en 2006, année où il termine sa mission en Egypte et, fort de plusieurs publications sur la Turquie, il pose sa candidature qui est retenue.
Le bâtiment qui abrite l'I.F.E.A. à Istanbul
Chaque chercheur pensionnaire laisse une empreinte de son passage et Jean Marcou devient "Monsieur OVIPOT", l'Observatoire de la Vie Politique Turque. Née en 2005, cette plate-forme de recherche se développe sous sa houlette.
Soucieux de donner plus de visibilité aux travaux de l'OVIPOT, Jean crée un blog qui voit le jour en janvier 2007, permettant ainsi au grand public de s'enrichir des analyses et investigations en temps réel - contrairement aux publications habituelles des chercheurs - sur la vie politique turque intérieure et étrangère.
"L'idée ne consiste pas à être un site d'actualité, mais de sensibiliser les lecteurs autrement que par l'actualité sur les évolutions politiques de la Turquie... pays assez particulier, assez riche, mal connu en Europe et en particulier en France... Lorsqu'on regarde les débats politiques de beaucoup de pays européens, on s'aperçoit qu'il y a souvent, même chez les spécialistes, même chez les politiques, une ignorance parfois stupéfiante de certaines réalités de ce pays... à la vie politique assez active, aux nombreux débats du monde contemporain sur notamment les questions des minorités, des identités, les rapports entre la religion et la sphère publique, le droit des femmes,..."
Jean Marcou derrière son bureau de l'I.F.E.A.
Comme le dit aussi à juste titre Jean Marcou, "Il y a un véritable défi aujourd'hui pour les chercheurs et les universitaires de mettre leurs travaux à la portée du grand public, avec parfois des réticences justifiées par le fait de ne pas "vendre" tout et n'importe quoi... Il y a une réelle demande des gens qui attendent de s'informer, de s'instruire et de découvrir... Cela peut permettre également de vérifier la pertinence des analyses publiées."
En conclusion, lorsque je souhaite avoir son avis quant aux trois changements les plus significatifs, à ses yeux, entre la Turquie de 1988 et celle de 2010, ses réponses peuvent faire l'objet de débats longs et passionnés ainsi que d'analyses et de publications encore bien nombreuses, voyez plutôt : le changement de mode de vie au quotidien, une décrispation très nette sur les sujets tabous de l'histoire, des minorités et des identités ainsi que la création d'une classe moyenne turque...
Réaffecté à Grenoble dès le 1er septembre 2010, Jean répond à ceux qui lui ont demandé récemment ses impressions à l'aube du départ "Je n'ai pas vraiment l'impression de partir de la Turquie". Travaillant sur différents programmes et continuant à alimenter le blog de l'OVIPOT, il sera amené à revenir nous voir avant la fin de cette année. Görüşmek üzere, yol açık olsun !