7 Décembre 2009
Sur les collines de Pera, ancienne appellation de Beyoğlu, en plein coeur d'Istanbul, une vigne, acquise par le Roi de France à la fin du XVIème siècle, est restée propriété du pays.
Sur cette terre qui abrite depuis quatre siècles le Palais de France, résidence actuelle du Consul Général d'Istanbul, se trouve également le plus ancien lieu de culte latin de Pera encore en activité, l'église Saint-Louis des Français.
Façade principale de l'église Saint-Louis des Français d'Istanbul
Deux chapelles existaient à l'origine. L'une, située à l'intérieur du Palais même, a été construite sur ordre d'Henri de Gournay, comte de Marcheville, ambassadeur de France de 1631 à 1639, et destinée à son usage personnel.
L'autre, extérieure, abritait la paroisse des catholiques français d'Istanbul et le couvent des Pères Capucins français. Les premiers Capucins sont arrivés là à la fin du XVIème pour s'occuper du lieu réservé au culte.
Plaque commémorative de la construction sur la façade extérieure de l'église
La chapelle qu'on aperçoit apparemment à cette époque du sérail, est bien trop visible au goût du grand amiral, le Kapudan Pacha. En effet, selon lui, le sultan, commandeur des croyants, doit afficher haut et fort son statut de meilleur défenseur du monde musulman.
En janvier 1634, il envoie ses soldats détruire la chapelle extérieure et l'Ambassadeur de Marcheville fait disparaître rapidement la seconde, intérieure.Tous les lieux de culte des catholiques de la ville sont mis sous scellés et une importante amende collective doit être payée par les ouailles.
L'intérieur de l'église Saint-Louis des Français d'Istanbul
La loi interdit l'ouverture de toute nouvelle église et les célébrations ont lieu durant plusieurs années... dans un placard... que l'on referme soigneusement après chaque office. La situation s'apaise au fil du temps et à partir de 1642, la messe est à nouveau célébrée dans une salle attenante au Palais.
L'entrée de l'église surmontée de l'orgue
La première église érigée vers 1660, en bois, est bénie le 25 août 1673, jour de la Saint-Louis, ancien roi de France décédé le 25 août de l'an 1270 et canonisé par l'église catholique vingt-sept ans après sa mort.
Comme de nombreuses églises de Français à l'étranger - telles celles de Lisbonne, Moscou ou Rome - elle porte ainsi le vocable de Saint-Louis des Français.
Louis IX de France plus connu sous le nom de Saint-Louis
Dès 1673, elle est déclarée "chapelle ministérielle" et devient paroisse au début du XVIIIème siècle.
En 1685, elle obtient l'autorisation d'abriter les sépultures des "Ambassadeurs, religieux et autres personnes de distinction".
Cette plaque in memoriam évoque Max Fourchon, ancien secrétaire à l'Ambassade, Louis-Jean Henri Comte de Vaujany, capitaine d'armes et François Belin, Consul Général, tous trois enterrés dans cette église
Grâce à la générosité de Roland Puchot, Comte des Alleurs et 29ème Ambassadeur de France en Turquie et de celle des fidèles, la maison de Dieu subit de nombreuses transformations entre 1747 et 1755.
En 1788, le Père Godefroy de la Porte, futur archevêque de Naxos en Grèce, fait reconstruire un édifice en pierre. En 1831, le terrible incendie de Pera fait disparaître tant le Palais que l'église. Il faudra attendre 1847 pour que les deux bâtiments renaissent de leurs cendres, tous deux réalisés par l'architecte Pierre Laurecisque.
Sur la droite de cette plaque commémorative parmi tant d'autres, il est rendu hommage à la mémoire d'Eugénie, épouse de l'architecte de l'église Pierre Laurecisque, décédée en 1847 au Palais de France à l'âge de 26 ans et inhumée dans cette église. Sur la gauche, c'est la mémoire de Pierre, fils d'Eugénie et Pierre, décédé à l'âge de 7 ans, qu'il est fait mention
Durant la première guerre mondiale, l'Ambassade est transformée en hôpital militaire turc et l'église - tout du moins le choeur - devient un temps mosquée de l'hôpital. La cave-cimetière est pillée, on cherche l'or qui pourrait avoir été enseveli avec les corps. Les restes ont depuis été transférés au cimetière latin de Feriköy.
En poussant un banc latéral...
Hormis les nombreuses plaques laissant entrevoir quelques pages d'histoire, l'orgue possède également son histoire. Il est construit à l'origine par Charles Mutin, successeur de la célèbre maison Cavailler-Coll, pour le prince Ibrahim Tevfik Efendi, fils de Mehmet Burhaneddin Efendi, membre de la famille impériale, amateur de musique et lui-même musicien. Cet orgue a vécu ses premières années dans le konak situé dans l'enceinte du Palais de Yıldız à Istanbul.
A la chute de l'Empire ottoman, le Prince part en exil et meurt à Nice quelques années plus tard. En 1925, l'orgue est racheté par les Capucins pour la somme de 37.500 Francs avec l'aide du Père Hervé, alors supérieur des Capucins. Il est réinstallé à l'église Saint-Louis pour remplacer celui démonté lors de la premiere guerre mondiale et qui a mystérieusement disparu.
Le superbe orgue Mutin-Cavallier-Coll
Même si les vitraux de l'église n'ont que peu de valeur, attardons-nous toutefois sur celui de l'Ecce homo. Le 20 novembre 2003, la veille du Christ-Roi, il perd sa couronne suite aux déflagrations lors de l'attentat perpétré contre le Consulat britannique situé à Beyoğlu.
Le vitrail a été restauré peu après l'attentat mais la couronne n'est plus de mise
Quelques superbes statues visibles dans l'église, notamment celle, dans le sanctuaire, du Christ en croix entouré de Saint-Jean et de la Vierge, sont l'oeuvre de Luigi Bresciani.
Cet ébéniste devenu sculpteur a vécu durant 20 ans, en Bulgarie puis en Turquie, aux côtés de Monseigneur Roncalli, délégué apostolique, devenu ensuite le pape Jean XXIII.
Résumer ici en quelques lignes la présence de la communauté des Capucins à Istanbul durant 374 ans, jusqu'en 1999, est impossible. Plusieurs articles seraient nécessaires pour cela.
Après une période de transition où l'intérim a notamment été assurée par le Frère Aloys Bailly, l'église Saint-Louis des Français se trouve à présent prise en charge par les Franciscains depuis 2003.
Ces derniers, venus d'abord à deux - puis à trois et aujourd'hui à quatre - s'occuper de la proche église Sainte-Marie Draperie, se sont vu confier par l'évêché la reprise en mains de l'église Saint-Louis.
Les cultes y ont lieu toutes les semaines, le samedi à 18 h et le dimanche à 11 h.
Je tiens à remercier chaleureusement le Frère Gwénolé pour le temps qu'il a bien voulu me consacrer et pour les documents qu'il m'a fournis dans le cadre de la préparation de cet article.