22 Mars 2011
Pera, ce nom célèbre à Istanbul dans les années 1930-50, évoque le quartier qui s'étend sur la colline du même nom, au-dessus de la tour de Galata. La haute bourgeoisie de la ville s'y presse alors, les artistes et commerçants de toutes origines confondues se retrouvent là pour faire affaire, sortir et se montrer.
Parmi les adresses courues de l'époque, il en est une qui existe encore aujourd'hui, au numéro 172 de l'avenue İstiklal, il s'agit de la pâtisserie Markiz créée par Avadis Ohanyan Çakır, originaire de la ville turque de Merzifon.
Bienvenue à la pâtisserie Markiz à Istanbul
Celui-ci, après avoir travaillé dans plusieurs hôtels, est employé par des Français exploitant un salon de thé du nom de Nice. Avant de retourner dans leur pays, ils vendent leur commerce à Çakır.
En 1940, lorsque ce dernier apprend la fermeture de la pâtisserie Lebon à Beyoğlu, il décide de louer les lieux et de leur donner le nom de Markiz, en référence à la chocolaterie parisienne de la Madeleine "Marquise de Sévigné". Çakır désire distribuer ici du chocolat et du fondant haut de gamme et obtient une patente de la chocolaterie française Menier.
Un des panneaux en faïence de Markiz, symbole des lieux
La pâtisserie Markiz devient très vite l'endroit préféré de la haute société d'Istanbul qui apprécie son service irréprochable et la qualité de ses produits. Durant des années, elle accueille, parmi tant d'autres, écrivains et artistes aussi célèbres qu'Abidin Dino, Sait Faik, Orhan Kemal, Atilla İlhan, Orhan Veli, Mina Urgan. La clientèle raffole tant du chocolat et des douceurs - tel le célèbre "fruit glacé" - que de cocktails dont la liste proposée est impressionnante.
Détail de l'autre panneau représentant le printemps
Pour passer la porte de Markiz au-dessus de laquelle était écrit en français "Pâtisserie-confiserie", où l'argenterie portait la signature de Christofle et la porcelaine utilisée venait de Limoges, il fallait porter une tenue plus que décente. Pour pallier à un quelconque manque quant aux accessoires de rigueur, un proche commerce louait cravates et chapeaux de circonstance.
Détail de la décoration chez Markiz à Istanbul
L'architecture intérieure et la décoration des lieux font aussi partie du prestige de cette adresse. Quatre panneaux en faïence style Art-Nouveau, illustrant les différentes saisons, ornent depuis les années 20, les murs en bois. Créés sur la base de dessins signés J.A. Arnoux, leur fabrication relève de la société "Hippolyte Boulenger & Cie" à Choisy-le-Roi, célèbre faïencerie française.
Les deux symboles de la pâtisserie Markiz
"L'automne" et "le printemps" sont aujourd'hui encore les symboles de l'ancienne pâtisserie de luxe. Le sort réservé aux deux autres panneaux est un bien grand mystère... La rumeur court qu'ils auraient été détruits à l'occasion d'un déplacement...
Quelques vitraux signés Mazhar Resmor ainsi que des cartons-pierres joliment décorés datant de 1945, oeuvres d'un certain Cezaliryan, font également partie du paysage de cette illustre adresse.
Un des vitraux ornant la vitrine donnant sur İstiklal Caddesi
A la mort d'Avadis Çakır, tous ses biens sont donnés aux forces armées turques et la pâtisserie Markiz ferme ses portes dans les années 70.
Durant un temps, on vend ici des pièces de rechange automobile jusqu'à ce que le Comité des Oeuvres et des Monuments Antiques décide de placer les lieux sous sa protection en 1977 en raison de leur décoration particulière. Après un rachat et des travaux de remise en état, la pâtisserie Markiz réouvre ses portes en décembre 2003, apportant ainsi sa touche de nostalgie du passé glorieux de Pera.
Aujourd'hui, la porcelaine de Limoges et l'argenterie Christofle ne sont plus que de lointains souvenirs
Au bout de quelques années laborieuses d'exploitation, une chaîne de restauration rapide reprend finalement les rênes en 2007.
Mars 2008, à l'approche de Pâques, la vitrine de la pâtisserie Markiz se garnit d'oeufs peints
Si le décor a été préservé, les produits servis aujourd'hui dans cet environnement mythique de Pera ont perdu une partie de leur saveur d'antan.