17 Décembre 2012
Le 23 novembre dernier, j'apprends, lors d'une discussion téléphonique avec Nail Kesova, sheik mevlevi de Galata, qu'un enterrement a lieu le même jour à l'occasion de la grande prière du vendredi à la mosquée de Teşvikiye.
Je lui demande le nom du défunt. Il me répond que je ne le connais pas, mais qu'il est proche de la famille Çelebi - les descendants de Mevlâna en ligne directe - et que la veille au soir, un autre sheik mevlevi est allé prier au domicile du défunt...
Prière du vendredi à la mosquée de Teşvikiye, 23 novembre 2012
Une fois raccroché, en quelques secondes, ma décision est prise. Je vais me rendre à cet enterrement même si je ne sais pas de qui il s'agit... le temps de m'habiller et de filer à toute vitesse, en prenant le soin de prévenir Nail dede que je le rejoindrai sur place.
Arrivée peu avant lui, je me dirige vers le cercueil exposé dans la cour de la mosquée sur le musallâ, la traditionnelle plaque de marbre.
Je me retrouve nez à nez avec Khalvat Dar Anjuman (Ibrahim baba), professeur des sciences des religions rencontré en décembre passé sur la tombe d'Eva de Vitray. Il me sourit et me dit "J'ai pensé à toi ce matin..."
Khalvat Dar Anjuman (Ibrahim baba), son épouse et son fils Nessim
Je découvre seulement à ce moment précis le visage de celle qui s'en est allée, Şirin anne (mère Şirin), dont je ne connais ni les traits, ni le nom... en voyant sa photo épinglée au revers de son vêtement, comme il est de tradition en Turquie, qu'il s'agisse d'enterrements musulmans ou chrétiens.
Şirin anne
Faruk et Gevher Çelebi, respectivement 22ème arrière-petit-fils et petite-fille de Mevlâna ainsi qu'Azra, 23ème de la lignée, sont présents et viennent s'incliner devant le cercueil.
A gauche, Azra et Gevher Çelebi, 23 et 22ème arrière-petites-filles de Mevlâna
La grande prière du vendredi débute après le sermon fait par le Khâtib du haut du minbar, la chaire de la mosquée. Les préposés de service continuent de disposer des tapis à l'extérieur de l'édifice, bien trop petit pour absorber l'affluence hebdomadaire habituelle doublée par ceux venus accompagner Şirin anne pour son dernier voyage.
Je souhaite entrer mais Nail Kesova, me fait comprendre, d'un regard, de rester dans la cour avec les autres femmes durant la cérémonie.
A l'issue de celle-ci, les hommes se retrouvent en rang d'oignons derrière le cercueil de la défunte et l'imam entame la "prière des morts" composée de 4 tekbir (glorifications d'Allah à haute voix) dont une prière pour le repos de l'âme du défunt.
Le sheik mevlevi Nail Kesova (2ème à droite) et à sa droite Faruk Çelebi, 22ème arrière-petit-fils de Mevlâna
Le cercueil recouvert d'un drap vert - couleur de l'islam - est ensuite soulevé par plusieurs hommes qui vont le déposer en cortège jusqu'au véhicule funéraire.
Autour du fourgon, prières, chants et saluts se succèdent et suscitent beaucoup d'émoi.
İbrahim baba
Deniz, un des fils de Şirin anne, en avant-plan
Arrivée au cimetière, l'assemblée entoure la famille et deux fils de Şirin anne descendent dans la tombe pour préparer la défunte.
Le ciel qui se met à pleurer de façon très violente, ne perturbe pas outre mesure la cérémonie, si ce n'est que les larmes se mêlent à la pluie...
Le corps, enveloppé d'un linceul blanc, tel une mariée, est sorti du cercueil et placé sur le côté droit à même la terre, le visage tourné vers La Mecque. Pendant la cérémonie, le tissu recouvrant le cercueil est maintenu par quelques mains au-dessus de la tombe pour préserver l'intimité.
Un zikr - évocation rythmique du nom de Dieu dans l'Islam et de façon encore plus importante chez les soufis - est entonné par toute l'assemblée durant la préparation. Je vous invite à revivre ce moment en cliquant ici.
Lorsque celle-ci est terminée, quelques lattes de bois sont posées transversalement au-dessus du corps puis les hommes de la famille et les proches vont, tour à tour, jeter quelques pelletées de terre ou quelques poignées de terre à la main pour recouvrir petit à petit le corps.
Pelletées de terre et larmes de pluie...
Des oeillets pourpre et violet sont déposés sur la terre ainsi qu'une dalle scellée sur la tombe. Nail Kesova interprète un chant mevlevi (que vous pouvez écouter en cliquant sur les mots soulignés) puis une prière mevlevi reprise en choeur par toute l'assemblée.
A gauche, le sheik mevlevi Nail Kesova
C'est ensuite à Ibrahim baba de déclamer également une prière avant qu'un autre zikr, sans que personne ne s'y attende, soit entamé par Osman, l'ezan de la mosquée - celui qui fait l'appel à la prière -. Cet homme est surnommé "Ey wallah Osman" car il est toujours prêt à rendre service à n'importe quelle heure du jour et de la nuit.
Nail Kesova dit ensuite la dernière prière. En cliquant ici, vous pouvez revivre également une partie de ce moment.
L'âme de Şirin anne va rester dans la tombe durant 40 jours... avant d'aller rejoindre les anges, elle le mérite bien...
C'est la première fois de ma vie que j'assiste à des funérailles dans un cimetière... qui plus est, musulmanes et mevlevies... et je n'en suis pas sortie indemne assurément.
Deniz, un des fils de Şirin anne
J'ai voulu en savoir plus sur cette femme que je n'ai pas connu et dont, va savoir pourquoi, je me suis sentie immédiatement très proche... J'ai pu être mise en contact avec ses fils, ai été accueillie depuis dans la maison de Şirin anne. Je suis en train d'en apprendre plus sur elle avant de vous faire partager l'histoire de sa vie peu ordinaire.
J'ai souhaité publier ce premier article en ce 17 décembre, jour anniversaire de la mort de Mevlâna, un clin d'oeil à deux êtres qui ont vécu à des époques différentes mais qui ont su rassembler autour d'eux...
Mes remerciements vont à Deniz et Yusuf qui m'ont autorisé à publier ce reportage.