8 Décembre 2009
Un mercredi pluvieux au marché Lafayette d'Angers, j'apprends qu'un commerçant turc s'y trouve et il va de soi que j'aille à sa rencontre.
Au milieu des primeurs et des stands où les délices de la région attisent l'envie des chalands, un étalage sort du lot, proposant, entre autres, olives, fruits secs et épices. Les odeurs et les couleurs de la Turquie sont bien là ! Sylvie me présente son mari Ercan, ainsi que leur employé Ahmet.
Ercan
Cette première rencontre, bien sympathique, me donne envie de faire plus ample connaissance avec cet homme affable d'une cinquantaine d'années qui vit depuis près de 30 ans dans l'hexagone. Me voici ainsi de retour sur le marché Lafayette samedi, munie de mon appareil photo et de mon calepin.
J'ai cru un moment qu'il avait renoncé ce jour-là à tenir son commerce en raison de la fête du sacrifice. Il n'en est rien, simplement son emplacement varie selon les jours.
Ce n'est pas le stand du Lion d'Angers mais celui d'Ercan en ce samedi matin - Gülnaz, sa fille de 17 ans, donne exceptionnellement un coup de main
A défaut d'un thé, c'est autour d'un café qu'Ercan va me raconter les épisodes de sa vie. Né à Akşehir en Anatolie Centrale, il se considère comme étant d'Izmir, où il a vécu la majeure partie de sa jeunesse.
En 1980, année du 3ème coup d'Etat militaire en Turquie, il est devenu difficile d'étudier et Ercan arrive seul à Paris en vacances, muni d'un visa de trois mois. A l'issue de celui-ci, il ne retourne pas au pays et se retrouve, comme un certain nombre de ses compatriotes de l'époque, en fraude en France.
L'année d'après, il bénéficie de l'amnistie présidentielle et un employeur juif turc, possédant une entreprise de textile, l'embauche. Ercan connaît déjà un peu ce milieu, son père étant tailleur de chemises. Sa situation administrative régularisée, il se voit délivrer un premier permis de séjour d'un an, suivi d'un autre de trois, puis d'un de dix ans.
Entre-temps, en 1984, sa route va croiser, toujours à Paris, celle de Sylvie qui va devenir son épouse et la mère de leurs deux enfants.
Il travaille jusqu'en 1988 dans le milieu du prêt-à-porter, traverse ensuite une période de chômage d'un an avant de diriger, à son compte, durant une année également, un atelier textile.
Ercan et son employé Ahmet venu en France en 2000
Quelques petits boulots se succèdent ensuite en 1990 et 91 comme garçon de restaurant, agent de sécurité à Eurodisney. Il suit même une formation comme agent de tourisme...
En 1992, Ercan acquiert un camion et fait du transport court et long courrier dans toute la France. L'année suivante, le couple, fatigué de la vie parisienne, décide de venir s'installer à Angers, une ville connue en rendant visite à un ami qui y habite. Sylvie, qui travaille comme aide-soignante, demande sa mutation et rejoint son mari quelques mois plus tard.
Dès son arrivée en Anjou, Ercan décide de faire les marchés et commence petit à petit sa nouvelle vie. Aujourd'hui, hormis le marché Lafayette bi-hedomadaire, il propose ses saveurs orientales et ensoleillées le jeudi sur la place Bichon et le dimanche à Monplaisir.
Ercan a su fidéliser sa clientèle et échange quelques mots avec chacun
Son épouse, après avoir poursuivi sa carrière médicale à Angers jusqu'en 2007 et aidé Ercan les week-ends au marché, démissionne. Ensemble, ils achètent un restaurant à une cinquantaine de kilomètres de là. Mais la vie de restaurateur est encore bien plus éprouvante que celle de commerçant et un an plus tard, ils vont revendre l'enseigne. Depuis lors, Sylvie travaille de façon permanente aux côtés de son mari en tant que conjoint collaborateur.
Ercan qui a appris le français dans la rue, au contact des autres, sans suivre aucun cours, n'a jamais connu de problème avec quiconque en France, ni au quotidien, ni avec sa belle-famille.
Bénéficiaire de la double nationalité depuis 1994 et après presque 30 années de vie en France, il ne se sent ni vraiment turc, ni vraiment français : "Je suis turc avec un mode de vie à la française, je vis avec un corps en France mais laissant un coeur en Turquie", son pays natal où il retourne en vacances tous les ans.
En touchant des produits qui ont vu le jour en Turquie, difficile de ne pas laisser un bout de son âme au pays...
Ercan, qui rêve en turc même à Angers, souhaite, autant que sa femme, partager sa vie la moitié de l'année en Turquie et l'autre en France lorsque leurs enfants auront terminé leurs études, d'ici quatre ans maximum.
Né un 14 juillet, cela ne m'étonne finalement pas que j'ai fait sa connaissance en France...