2 Novembre 2009
Après avoir rencontré Saim à Istanbul en 2008 à deux reprises, d'abord en août au Festival des Mains d'Or sur la place de Taksim et lors d'une autre exposition en décembre, je m'étais promis de lui rendre visite lors de mon passage à Kütahya.
Saim Kolhan
Fascinée par ses créations aux détails particulièrement travaillés, minutieux, j'ai souhaité en savoir plus sur cet Artisan de la faïence avec un grand A !
Saim est né à Kütahya en 1962 et débute sa vie professionnelle dans l'électricité, domaine dans lequel il a fait ses études. En 1984, il décide d'arrêter cette voie et passe quatre mois aux côtés d'un artisan-céramiste qui lui apprend les rudiments du métier. Il se marie la même année et commence à travailler à domicile, de façon indépendante.
L'artisan-artiste à l'oeuvre.... dans son atelier
Un an plus tard, il ouvre son premier magasin "Elif Çini" avec son neveu, puis poursuit sa nouvelle route à nouveau seul. En 1987, il fonde avec quatre autres artistans-céramistes, Mehmet Gürsoy, Habib Bakilan, Atilla Kipergil, Abdülkadir Uçaroğlu l'atelier İznik Çini.
Après avoir été façonnée, chaque pièce sera cuite une première fois à 900 ou 1000° puis refroidie dans le four, la durée de ces deux opérations étant d'un jour et demie. Le dessin de chaque pièce est ensuite imprimé à l'aide d'un papier perforé sur lequel figure le motif préalablement dessiné.
Leur but n'est pas de reproduire des faïences d'Iznik mais d'utiliser certains principes pour la réalisation de créations qui leur sont propres. De nombreuses oeuvres d'art, dont certaines partent pour l'Italie, vont être créées durant les cinq années passées ensemble.
Après avoir formé de nombreux apprentis et été à la direction de cette entreprise lorsqu'Uçaroğlu ouvre son propre atelier, Saim décide de quitter İznik Çini en 1992.
Deux "petits" vases en cours de réalisation ; la plupart des grandes pièces sont réalisées sur commande.
Durant les dix années qui suivent, c'est à la maison qu'il va travailler, seul, apportant ses pièces dans un four voisin. Ce n'est guère durant cette période-là qu'il va gagner de l'argent mais vivre de sa passion lui est essentiel.
Il travaille notamment les miniatures turques ainsi que le tezhip, technique d'enluminure, guère utilisée auparavant sur la céramique.
Les premières couleurs posées en général sont le bleu clair et le turquoise, ensuite le vert et les autres teintes. Le rouge, beaucoup plus épais et plus long à sécher, est la dernière couleur appliquée en principe.
En 2002, il finit par créer une société, loue un local composé d'une pièce de 4m2 où il installe sa table de travail...
Depuis ces quatre dernières années, il est associé avec deux personnes dont Selma, jeune femme passionnée et très douée également dans ce domaine.
Selma, qui a appris les bases de son métier à l'Université de Kütahya, voue une passion incontestable à cet art dont elle devient également, aux côtés du Maître, une merveilleuse ambassadrice.
Quelles différences y a-t-il donc entre la céramiques d'İznik, plus connues du grand public et celle de Kütahya, dont la production est aujourd'hui bien plus importante ?
A l'origine, la production d'İznik était essentiellement destinée à décorer palais et mosquées ottomanes, ce jusqu'au début du XVIIIème siècle où les derniers fours de la ville vont fermer.
Une des pièces de l'atelier de Saim est occupée par les femmes qui réalisent carreaux et objets de petite taille.
Les céramiques de Kütahya, dont la composition en quartz longtemps bien moindre que celle d'İznik, plus élaborées, étaient moins coûteuses et destinées au grand public. Mais, petit à petit, leur gamme de produits s'est étoffée.
Certaines couleurs sont appliquées en fines lignes ou couches, au pinceau...
Actuellement, les trois ateliers d'İznik, qui pérénisent à nouveau depuis plus d'une dizaine d'années le savoir-faire ancestral, font régulièrement façonner des pièces par des artisans de Kütahya en fonction de leur charge de travail...
... d'autres, en surépaisseur, à l'aide de pipettes
A Kütahya, il existe environ 150 ateliers, certains employant 2 à 3 personnes, la plupart entre 5 et 10, et 8 d'entre eux, comme celui de Saim, entre 15 et 20 artisans, en fonction des besoins.
L'atelier des hommes où sont réalisées, entre autres, les pièces les plus volumineuses
Dans cet atelier, comme dans la plupart sans doute, on perçoit l'attachement, l'amour même du travail réalisé. Comme me l'expliquait Selma, le maniement du pinceau est rythmé par l'état d'esprit de chaque artisan, donnant ainsi une touche toujours personnelle.
Il ne s'agit pas de compter les heures nécessaires pour la réalisation d'un seul objet, car ceux qui travaillent là aiment ce qu'ils font, plongés dans un univers où la beauté est le maître mot.
Avant le deuxième passage au four, les pièces vont faire l'objet d'une glaçure qui permet, à la fois, l'imperméabilisation des couleurs et le rendu de leur éclat.
Après le séchage de cette glaçure étalée au pinceau, 1 jour et demi seront encore nécessaires pour la seconde cuisson, toujours à la même température oscillant entre 900 e 1000° et le refroidissement.
Le commun des mortels reste toujours subjugué à la vue de cet art qui existe depuis des siècles et qui, heureusement, continue à être perpétué grâce à de tels artistes-artisans.
Derrière une assiette ou un vase aux couleurs savamment déposées se cachent des mains d'hommes et de femmes unis par une même passion.
Pouvoir à la fois l'assouvir au quotidien et en vivre, difficile de rêver meilleur compromis !
J'aurais bien aimé voir ces oiseaux parés de leurs couleurs...
Saim, qui n'est pas à court d'idées, a réalisé, au bout de la 3ème tentative - les deux premiers ayant cassé - le plus grand vase en céramique au monde, de 2,20 m de haut.
Celui-ci attend patiemment derrière la vitre de son atelier d'être peint... et homologué par le Guinness World Records une fois que le dossier sera déposé !
Ce sera une bonne occasion pour moi de retourner avec plaisir voir ces mains d'or à Kütahya...
http://www.saimkolhan.com/anasayfa (en turc et en anglais)