2 Décembre 2011
L'histoire du tekke de Yenikapı, le plus réputé d'Istanbul, plonge ses racines à la fin du XVIème siècle. Lieu important de diffusion de la pensée soufie de Rûmi successivement transformé en hôpital, en centre d'accueil et en campus universitaire, Yenikapı a conservé l'attrait qui en fit, jadis, l'un des 14 plus grands tekke du monde.
Sema au tekke de Yenikapı
A l'extérieur des murs de la péninsule historique d'Istanbul, dans l'actuel quartier Merkezefendi, est érigé en 1597 au milieu des champs, un monastère pour les derviches, le tekke de Yenikapı. Son nom provient de la plus proche porte des remparts de la ville, l'actuelle "porte Mevlâna", appelée Yenikapı durant l'Empire ottoman.
Le tekke de Yenikapı à Istanbul
Cet emplacement privilégié permet à ceux qui y vivent, notamment durant leur période initiatique, d'y trouver paix et sérénité. Ce secteur est aussi convoité par d'autres congrégations, tel le proche monastère grec orthodoxe Balıklı.
Le mevlevihane de Yenikapı, dont la construction intervient 106 ans après celui de Galata, devient un des 14 âsitâne - expression utilisée durant l'Empire ottoman pour désigner les plus grands tekke - dans le monde.
L'entrée du semahane de Yenikapı
Malkoç Mehmed efendi, calife en chef des janissaires, ouvrit ce monastère et désigna comme sheik Kemal Ahmet dede qui dirigea les lieux durant quatre ans.
A l'arrière du selamlık repose le scribe de Malkoç Mehmet efendi
Le complexe comprend alors un semahane - salle réservée aux cérémonies du sema, la danse mystique des derviches -, 18 cellules destinées aux novices ainsi qu'une petite mosquée.
Au début du XVIIème siècle sont ajoutées des cuisines et des pièces pour recevoir le public.
Dans la cour du selamlık du tekke de Yenikapı
A l'intérieur du semahane de Yenikapı
Du monastère d'origine, il ne reste plus rien de nos jours, les bâtiments ayant été détruits et remplacés par de plus grands comportant un selamlik (partie réservée aux hommes), un haremlik (secteur des femmes) destiné à la famille du sheik, une fontaine, un mausolée, une section pour le sultan et des citernes...
Dans les salons de l'ancien bâtiment du selamlık
En 1818, Mahmut II finance la restauration du nouveau complexe et fait ajouter une salle à manger. Quant à Abdurrahman Nafiz Paşa, Ministre du Trésor, il crée une bibliothèque portant son nom et fait ériger son propre mausolée à proximité.
D'autres sultans, tels Murat IV et Abdulmecit, ainsi que des notables comme Zuwal Paşa, gouverneur d'Egypte, apportent leur soutien financier au tekke dont la superficie s'étend sur 7,5 ha pour 0,5 ha aujourd'hui.
Durant des décennies et surtout aux XVIII et XIXème siècles, Yenikapı devient le centre le plus réputé des arts traditionnels soufis d'Istanbul, en particulier au niveau musical et littéraire. Compositeurs et musiciens réputés y sont formés, poètes illustres y séjournent.
Un incendie ravage la bibliothèque en 1903. Le sultan Mehmet Reşat fait restaurer les lieux en 1910 par l'architecte Kemalettin avant que le tekke ne ferme ses portes en 1925, suite à l'interdiction de tenue des confréries.
Durant les guerres des Balkans et de Çanakkale, le tekke est utilisé comme hôpital puis devient un temps un centre d'accueil pour enfants. Le 9 septembre 1961, le feu détruit totalement le semahane, le şerbethane contigu où l'on produit du sirop ainsi que le secteur du mausolée. En 1997, les flammes abîment le bâtiment central qui résiste car construit en pierre.
En 2005 sont entrepris des travaux colossaux durant près de 5 ans pour reconstruire les bâtiments disparus et redonner vie au haremlik et au selamlık.
L'emplacement de l'ancien haremlik abrite aujourd'hui l'administration des lieux
S'il fut un temps question que ce tekke soit transformé en musée, il abrite depuis 2010 un campus de l'Université Fatih Sultan Mehmet comportant plusieurs instituts, celui des Alliances des Civilisations en tête, l'Institut d'Ingéniérie et des Sciences et celui des Beaux-Arts.
L'entrée actuelle du complexe du tekke de Yenikapı
Outre les cours d'ingéniérie et d'architecture dispensés parmi d'autres depuis 2010 pour des licenciés et doctorants, un programme dispensé en 4 langues, destiné à des élèves en classe de masters en recherche des civilisations, a débuté à la rentrée pour 10 étudiants turcs et 7 étrangers de diverses nationalités.
Comme le rappelle le Pr. Dr Recep Şentürk, directeur de l'Institut des Alliances des Civilisations, le couvent de Yenikapı est de par son histoire l'endroit le plus approprié pour diffuser la pensée universelle et pacifique de Mevlâna ainsi que l'enseignement des arts traditionnels soufis, comme c'était le cas par le passé.
Des lectures du Mathnawî, l'ouvrage majeur de Rûmi, des cours de calligraphie, d'ebru - papier marbré -, de musique et d'initiation au sema ouverts au public ainsi que des lectures de textes de grands penseurs mystiques tel Al-Ghazali, sont mis en place progressivement.
Dans le cadre d'Istanbul 2010 Capitale Culturelle Européenne, de nombreux sema ont été proposés à Yenikapı par la Fondation Internationale Mevlâna, permettant ainsi de s'imprégner de l'atmosphère mystique d'antan dans ce cadre exceptionnel .
Sema au tekke de Yenikapı
Ce tekke a perduré 328 ans en tant que tel et continue aujourd'hui de distiller, de façon contemporaine, la pensée du plus grand mystique de tous les temps.
Les âmes des nombreux derviches et sheiks enterrés dans le cimetière du complexe ainsi que dans le mausolée y veillent !